On remballe enfin le chapiteau à Washington, et avec lui les champs lexicaux du «cirque», du «chaos» et de la «paralysie», sévèrement mis à l’épreuve en plus de trois semaines par la crise inédite d’un appareil législatif américain qui demeurait figé depuis. Enclenchée avec la déchéance de Kevin McCarthy de la présidence de la Chambre des représentants, cet épisode hors norme se sera finalement achevé mercredi 25 octobre par la consécration d’un quasi-inconnu du public, l’élu ultraconservateur de Louisiane Mike Johnson. Sondée par la presse à quelques heures de son élection à l’unanimité par les représentants de son parti, la sénatrice modérée Susan Collins avait dû avouer ne rien savoir de lui, faisant part de l’intention de le «googler» dans la matinée.
Déniché par l’étroite majorité républicaine tout au fond de son banc des remplaçants, et au bout d’un embarrassant processus qui aura éclairé aussi bien ses tiraillements idéologiques qu’un désintérêt patent d’une certaine frange pour la bonne marche des institutions, Johnson a amplement bénéficié au final de ce déficit de notoriété et d’expérience (il n’est élu à la Chambre que depuis 2017, et s’apprête à la présider sans en avoir jamais piloté la moindre des commissions) pour s’élever au-dessus de la toile de rancœurs et disputes amères entre conservateurs plus ou moins radicaux ou modérés. A défaut de le connaître bien, ses camarades ont choisi de n’en penser aucun mal.
«Des décisions difficiles»
A droite, où l’on veut couper enfin court à des semaines d’accablant spectacle tout de divisions et de dysfonctionnements internes, on le présente donc comme une figure propice à toutes les réconciliations, au profil iridescent sous une allure policée. Les centristes se bercent du pragmatisme de certains de ses votes passés pour déjouer, par exemple, un défaut de la dette souveraine. Les plus extrémistes exultent, sachant bien son alignement idéologique absolu avec la mouvance trumpiste «Make America Great Again», dont il est l’un des hérauts, de l’opposition à l’avortement au climatoscepticisme, de l’hostilité à l’Etat social à l’isolationnisme «America First», et des diatribes anti-LGBT au négationnisme électoral. Sur ce dernier front, Johnson fut ainsi l’un des moteurs de la tentative d’empêcher de certifier en 2020 la défaite de Donald Trump.
Aussitôt sa nomination prononcée mardi, l’ex-président s’est donc empressé de lui offrir son appui. Trump peut tenir sa désignation pour un triomphe personnel et une marque supplémentaire de l’emprise qu’il maintient sur le «Grand Old Party», après avoir torpillé la veille, en un post assassin sur les réseaux, le troisième candidat républicain à recevoir la nomination des siens pour le perchoir – Tom Emmer, jugé pas assez radical, et dont l’échec à fédérer une majorité derrière lui se sera presque aussitôt ajouté à ceux des Jim Jordan et Steve Scalise les semaines passées.
Lors de sa première allocution triomphale, Mike Johnson, 51 ans, ne s’est pas étendu sur ses futures orientations stratégiques, sinon par sa ferme intention de s’attaquer aux fardeaux de la dette et du déficit public, en adoptant certaines de «ces décisions difficiles, qu’il faudra bien expliquer au peuple américain» et qui dans l’idiome ultraconservateur recouvrent en général un assaut à la tronçonneuse contre les dépenses sociales. Mais plutôt que de détailler ses intentions plus avant, il se sera référé à Ronald Reagan, aux principes fondateurs de l’Amérique, aux écritures bibliques et surtout à une trajectoire personnelle de gamin d’un pompier de Shreveport (Louisiane, à la lisière du Texas), qui fut grand brûlé et meurtri à vie par l’exercice de son métier. Celui-ci est mort quelques jours trop tôt pour voir son fils Mike – qui se revendique le tout premier diplômé universitaire de la famille – être élu en ce Congrès des Etats-Unis dont l’histoire lui tend aujourd’hui un peu plus encore les bras – tout indique en effet qu’il pourrait bien s’y imposer comme le speaker de loin le plus à droite de l’histoire récente.
Pas un mot pour l’Ukraine
Agé de 51 ans, cet évangélique fervent et législateur le moins chevronné depuis des générations à accéder à la troisième plus haute fonction de l’Etat américain fut d’abord un avocat proche d’organisations religieuses au nom desquelles il a férocement défendu le maintien de la prière à l’école. Sous sa gouverne, la chambre basse enfin remise en état de légiférer, et le Congrès américain avec, trouvera à son programme quantité de chantiers pressants, abandonnés depuis des semaines aux limbes, sur lesquels il faudra trouver un terrain de consensus transactionnel avec les démocrates aux commandes du Sénat et de la Maison Blanche. En tout premier lieu le financement de l’Etat fédéral, afin de déjouer l’échéance à trois semaines d’un shutdown, la relance du soutien à l’Ukraine (auquel le représentant Johnson avait refusé son vote dès mai 2022), et l’aide promise par Joe Biden aux moyens de défense d’Israël dans son conflit militaire contre le Hamas.
L’exécutif démocrate entend bien lier l’assistance offerte à ses deux alliés en guerre, et quelques autres urgences du moment, au sein d’un même projet d’investissement «dans la sécurité nationale» à plus de 100 milliards de dollars, et Biden en a exhorté le néo-speaker aussitôt qu’il fut élu. Mais Johnson n’aura parlé que de l’Etat hébreu dans son discours victorieux, pour promettre d’en faire dès les prochains jours la priorité de sa nouvelle ère. Il n’aura en revanche pas eu un mot pour le sort de Kyiv, dont il n’était déjà pas plus question dans le texte détaillant mercredi ses priorités législatives de l’années à venir, diffusé juste avant de recevoir l’acclamation unanime d’un groupe républicain tentant, tant bien que mal, d’apparaître enfin capable de serrer les rangs.