La horde de bolsonaristes qui a semé le chaos à Brasília n’a pas seulement menacé la démocratie brésilienne. Elle a aussi sévèrement abîmé son patrimoine culturel et historique. Les émeutiers ont envahi, dimanche, le palais présidentiel du Planalto, le Tribunal suprême et le siège du Congrès : trois hauts lieux du pouvoir politiques brésiliens qui sont aussi trois bâtiments conçus par Oscar Niemeyer, considérés comme des trésors de l’architecture moderne. Leurs vitres ont été brisées ; les mobiliers rares et œuvres d’art qu’ils renferment ont été sérieusement détériorés.
L’Institut du Patrimoine historique artistique national (Iphan) a «profondément déploré les dégâts occasionnés». Une expertise sera menée prochainement pour «évaluer les besoins de restauration». Mobiliers historiques, objets d’art signés par de grands artistes modernistes brésiliens ou offerts par des pays étrangers : ces œuvres ont une valeur inestimable.
Devant le Tribunal suprême et face au Palais présidentiel, une femme de granit de 3 mètres de haut, les yeux bandés et une épée à la main, trône sur la place des Trois-Pouvoirs. La Justice a été sculptée par le Brésilien Alfredo Ceschiatti en 1961. Elle fait partie de la triste liste des œuvres endommagées par les émeutiers. Sous sa poitrine est maintenant tagué «Perdeu mané» («Tu as perdu, pauvre con»). Comme pour sanctionner Luís Roberto Barroso, le juge du Tribunal suprême à l’origine de cette phrase, qu’il avait assénée à un bolsonariste l’interpellant sur la fiabilité des urnes électroniques en novembre. Le militant en question contestait la défaite de Jair Bolsonaro face à Luiz Inacio Lula da Silva au second tour de la présidentielle, le 30 octobre.
Pour trouver d’autres œuvres altérées, il faut pousser la porte du palais présidentiel. Au troisième étage, une pendule fabriquée par l’horloger de Louis XIV, Balthazar Martinot, a été retrouvée par terre. Son coffre est très abîmé et son cadran a cédé sa place à un trou béant. Seules deux pendules de ce type avaient été fabriquées par l’horloger du roi : la seconde est en ce moment même exposée au château de Versailles. La restauration de celle de Brasília sera «très difficile», a prévenu Rogerio Carvalho, responsable du patrimoine des palais présidentiels.
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Au même étage, un tableau estimé à 8 millions de réais (environ 1,4 million d’euros) a été perforé. Les Mulâtres, peint en 1962 par l’un des maîtres du modernisme brésilien, Di Cavalcanti, représente quatre femmes dans un décor végétal. Les émeutiers l’ont troué à sept reprises.
Les bolsonaristes ont aussi renversé une table pour bloquer les forces de l’ordre avant de l’utiliser comme barricade. Le mobilier, conçu par Oscar Niemeyer et sa fille Anna Maria, n’était autre que «la table de travail de Juscelino Kubitschek», président du pays entre 1956 et 1961. Et surtout l’homme politique ayant initié la construction de la capitale brésilienne assiégée dimanche, bâtie ex nihilo au milieu de la savane et inaugurée en 1960. Comme un symbole du pouvoir politique que les émeutiers ont aussi essayé de faire vaciller.