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Amazonie

Fruits de la jungle, abri de fortune et grande sœur «meneuse»… De nouveaux détails sur la survie des quatre enfants en Colombie

Trois jours après la découverte miraculeuse des quatre enfants qui ont passé 40 jours dans la jungle amazonienne, les sauveteurs colombiens ont donné lundi 12 juin de nouvelles informations sur la façon dont ils ont survécu.
Le moment où les militaires colombiens retrouvent les enfants, le 9 juin 2023. (Colombia's Armed Forces Press Office/AP)
publié le 12 juin 2023 à 8h06
(mis à jour le 13 juin 2023 à 7h21)

Ce sont les premières images des enfants miraculés, et la première fois que leurs sauveteurs s’expriment. La télévision publique colombienne a diffusé dimanche 11 juin une vidéo du moment où Lesly (13 ans), Soleiny (9), Tien Noriel (5) et Cristin (1) sont retrouvés par des membres de la garde indigène colombienne. Hagards et amaigris, ils venaient de passer quarante jours seuls dans la jungle amazonienne, après le crash le 1er mai du petit avion à bord duquel ils voyageaient avec leur mère, le pilote et un proche. Les trois adultes n’ont pas survécu à l’accident.

Au début, ils sont restés près de l’épave, se nourrissant de farine de manioc qu’ils ont trouvée à bord de l’appareil, a expliqué le général Pedro Sanchez, à la tête des opérations de recherche. Puis, «ils ont manqué de provisions» et ont décidé de chercher un moyen de sortir de la jungle, a rapporté Henry Guerrero, un des indigènes qui a participé aux recherches avec l’armée. Avant de s’éloigner de l’appareil, les enfants ont récupéré une serviette, une lampe de poche, deux téléphones portables (aux batteries rapidement déchargées), une boîte à musique et quelques vêtements.

Puis, pendant leur séjour dans l’Amazonie, ils se sont nourris de «chontaduro [fruits orangés] et de mangues sauvages […] des fruits de la jungle», selon le général Sanchez, qui a qualifié leur survie de «miracle». Luis Acosta, responsable des gardes indigènes de l’Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC), a ajouté que les enfants s’étaient «nourris de racines, des semences et des plantes qu’ils avaient identifiées et qu’ils savaient comestibles».

La fratrie appartient d’ailleurs à l’ethnie Uitoto, originaire de l’Amazonie. «Ce sont des enfants indigènes qui connaissent très bien la forêt. Ils savent ce qu’il faut manger et ce qu’il ne faut pas manger. Ils ont réussi à survivre grâce à cela et à leur force spirituelle», a déclaré Luis Acosta. Les indigènes ont été à l’origine de la découverte des enfants, dont les deux plus jeunes ont fêté leur anniversaire pendant leur errance.

La grande sœur leadeuse

Pendant ces jours passés dans la jungle, les enfants «sont restés près d’un cours d’eau. Ils remplissaient une petite bouteille de soda avec de l’eau», a détaillé Henri Guerrero, l’un des membres de l’équipe de sauvetage. «Il ne leur est jamais rien arrivé», pas une seule attaque d’animaux ou de blessure accidentelle, «ils s’en sont très bien tirés». Il a aussi expliqué que les jeunes survivants avaient construit un abri de fortune à l’aide d’une bâche, et qu’ils «avaient une petite serviette là, sur le sol». «J’ai parlé avec l’aînée seulement, a poursuivi Henri Guerrero. Elle m’a raconté avoir écouté tous les messages des hélicoptères, disant qu’on était à leur recherche, le message de la grand-mère qui disait de ne pas bouger ou de ne pas avoir peur du chien Wilson à leur recherche. Ils ont écouté les messages mais ne savaient pas vers où aller dans cette zone très étendue, très difficile.»

Le ministère de la Défense colombien, Ivan Velasquez Gomez, a aussi rendu un hommage particulier à Lesly, l’aînée de la fratrie : «Nous devons reconnaître non seulement son courage, mais aussi son talent de meneuse. C’est grâce à elle que les trois petits ont pu survivre». Le grand-père des enfants s’était dit convaincu pendant les recherches que sa petite-fille avait réussi à mettre ses frères et sœur en sécurité. Elle «est très intelligente, elle est très active, elle est forte», avait-il assuré, ajoutant que les trois plus grands étaient «très forts pour marcher» dans la jungle.

Des traques quotidiennes épuisantes

La presse colombienne a commencé à donner des détails de leur calvaire de plus d’un mois dans l’une des zones les plus hostiles du monde. Les enfants ont pu se servir dans leur périple d’une moustiquaire, d’une serviette, d’un minimum de matériel de camping, de deux téléphones portables (aux batteries rapidement déchargées), d’une lampe de poche et d’une petite boîte à musique.

Les enfants ont aussi révélé que leur mère avait survécu quatre jours à l’accident d’avion avant de succomber à ses blessures.

Après plus d’un mois de recherche infructueuse, l’armée colombienne était sur le point de réduire ses moyens déployés. Malgré leurs rations, les commandos des forces spéciales ont perdu chacun entre 3 et 10 kg, avec des traques quotidiennes épuisantes débutant dès 5 heures du matin. «Chaque jour qui commençait, on se disait :»Aujourd’hui on les trouve !»» a raconté l’un de ces soldats d’élite, cités par un hebdomadaire.

«Des mots rassurants»

«Une demi-heure auparavant, on avait trouvé une tortue sur le chemin, a raconté un autre membre de l’équipe sur le plateau de la RTVC (la télévision publique). Dans les croyances de nos anciens, si on trouve une tortue, on peut lui demander d’exaucer un vœu. Je lui ai dit : Trouve-moi les enfants”, même si on voulait la manger après. Quand on a trouvé les enfants, on l’a balancée, on ne pensait plus qu’aux petits.»

L’équipe des indigènes qui a retrouvé les enfants dans la jungle a ensuite raconté ce moment extraordinaire. «La fille aînée, Lesly, en tenant la petite par la main, a couru vers moi. Je l’ai prise dans mes bras, elle m’a dit : J’ai faim”, a raconté Nicolas Ordoñez Gomes, l’un des membres de l’équipe. J’ai demandé où était le garçon. Il était allongé à côté. Après un premier câlin, et lui avoir donné un peu de nourriture, il s’est levé et il m’a dit, très conscient de ce qu’il disait : Ma maman est morte.”»

«On a enchaîné tout de suite avec des mots rassurants, en disant que nous étions des amis, que nous venions de la part de la famille, du père, de l’oncle. Que nous étions de la famille ! Il a répondu : Je veux de la fariña et du chorizo [du pain et de la saucisse, ndlr]», a détaillé Nicolas Ordoñez Gomes.

«Nous étions un peu désespérés, car cela faisait trop de temps que nous cherchions» les enfants, a expliqué Henri Guerrero. Mais «ce qui était admirable, c’est que tous étaient conscients». L’aînée «se souvenait de tout». «Ils voulaient manger du riz au lait, du pain. C’était seulement “à manger, à manger.” Ils étaient sur une serviette sur le sol, cela faisait quatre jours qu’ils étaient au même endroit […], ils n’en pouvaient plus.»

Le commandant des opérations de recherche, le général Pedro Sánchez, était également présent sur le plateau de la télévision colombienne, en uniforme et béret bordeaux sur la tête. «Ce sont eux les héros», a-t-il commenté, à l’attention de la quinzaine de ses hommes présents, portant casquettes, foulards de couleurs et bâtons (les attributs classiques des gardes indigènes).

Où est Wilson ?

Trois jours après ce sauvetage, les enfants continuaient de se reposer à l’abri des regards et de l’excitation des médias dans une chambre de l’hôpital militaire de Bogotá, où ils ont été transférés par avion le soir même de leur sauvetage.

Ils «parlent peu», selon leurs proches mais «ils jouent avec les cadeaux […] ils sont bien, ils sont entre de bonnes mains. […] On ne peut pas leur donner trop de nourriture pour le moment. Tout ça est un processus qui va prendre du temps», a commenté leur grand-père.

L’armée dit désormais poursuivre ses recherches de Wilson, un chien de détection perdu dans la jungle. Le nom et les photos de ce malinois de 6 ans s’affichent désormais aux fenêtres à Bogota.

Mise à jour : mardi 13 juin à 07 h 21, avec de nouvelles déclarations du général Pedro Sanchez, du responsable des gardes indigènes Luis Acosta et du ministre de la Défense colombien Ivan Velasquez Gomez.