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Emeutes

A Brasília, les bolsonaristes imitent les trumpistes

Il aura fallu plus de quatre heures aux forces de l’ordre pour achever de reprendre le contrôle de l’ensemble des édifices gouvernementaux, envahis par des partisans de l’ancien président, dimanche 8 janvier. La police a procédé à plus de 300 arrestations.
Des partisans de l'ancien président brésilien Jair Bolsonaro affrontent la police lors d'une manifestation devant le palais du Planalto à Brasilia, le 8 janvier 2023. (Evaristo Sa /AFP)
publié le 8 janvier 2023 à 19h35
(mis à jour le 9 janvier 2023 à 4h25)

Comme une impression de déjà-vu. Le 6 janvier 2021, des milliers de fanatiques de Donald Trump, galvanisés par un discours de l’ancien président d’extrême droite qui refusait d’admettre sa défaite, entraient de force dans le Capitole des Etats-Unis. Les réseaux sociaux étaient rapidement inondés d’images de ses partisans, assis dans le fauteuil d’un élu ou fanfaronnant dans les couloirs de l’imposant bâtiment.

Ce dimanche 8 janvier 2023, la scène semble se répéter en tous points, quelques milliers de kilomètres au sud de Washington. Un peu avant 15 heures au Brésil (19 heures à Paris), un cortège de bolsonaristes convaincus que l’élection qui s’est tenue fin octobre 2022 leur a été volée est arrivé aux abords de la place des trois pouvoirs de Brasília, où sont regroupés le Congrès, la Cour suprême et le Palais présidentiel. La marche était spontanée : les partisans de Jair Bolsonaro n’ont pas eu besoin d’un grand discours de leur chef adulé pour tenter un coup d’Etat.

Forçant bien facilement, comme aux Etats-Unis, des cordons de policiers, les manifestants ont réussi dans un premier temps à s’approcher plus encore du Congrès, avant d’entrer de force dans le bâtiment en brisant des vitres. Tout de vert et jaune vêtus, beaucoup fanfaronnaient de leur coup de force, publiant sur les réseaux sociaux des vidéos dans les travées du Parlement, dansant dans l’hémicycle du Sénat, drapeau du Brésil sur les épaules ou saccageant l’intérieur des bâtiments, trésors de l’architecture moderne qui regorgent d’œuvres d’art. Certains filmaient et retransmettaient même en direct les événements, tandis qu’au moins huit journalistes étaient agressés physiquement et leur matériel détruit.

Sur place, Lula dénonce «vandales et fascistes»

Quelques minutes plus tard, d’autres groupes de manifestants ont réussi à pénétrer dans la Cour suprême et le Palais présidentiel, reproduisant dans chaque bâtiment les mêmes scènes. «Cette tentative absurde d’imposer la volonté par la force ne prévaudra pas. Le gouvernement de Brasília va envoyer des renforts. Et les forces dont nous disposons sont à l’œuvre», a réagi Flávio Dino, le ministre de la Justice. Le ministre du secrétariat de la Communication sociale, Paulo Pimenta, parle, lui, d’une «minorité violente», de «putschistes» qui «n’acceptent pas le résultat de l’élection et prêchent la violence».

Il a fallu plus de quatre heures aux forces de l’ordre pour achever de reprendre le contrôle de l’ensemble des édifices gouvernementaux. La police a procédé à plus de 300 arrestations et annoncé travailler à l’identification d’autres personnes responsables de ce que le gouverneur de Brasília, Ibaneis Rocha, a qualifié d’un «acte terroriste». Le président fraîchement intronisé, Luiz Inacio Lula da Silva, qui était en déplacement dans l’Etat de São Paulo au moment des faits, avait rapidement réagi en décrétant un état d’urgence autorisant le gouvernement fédéral à intervenir «par tous les moyens nécessaires» pour restaurer l’ordre.

Puis, une fois arrivé sur place après la fin des opérations d’évacuation, le chef de l’Etat a condamné des évènements «abominables», «sans précédent dans l’histoire de notre pays», et averti que tous les responsables, y compris les financiers de ces «vandales et fascistes», feraient l’objet d’investigation et seraient punis «avec toute la force de la loi». Il a également blâmé son prédécesseur, Jair Bolsonaro, exilé aux Etats-Unis depuis les derniers jours de son mandat.

Une accusation «sans preuve», a rejeté l’ancien président d’extrême droite, dans une série de tweets où il oppose le droit aux «manifestations pacifiques, comme encadrées par la loi», aux «invasions et déprédations de bâtiments publics comme ceux qui se sont produits aujourd’hui, ainsi que celles pratiquées par la gauche en 2013 et 2017» qui elles n’auraient pas lieu d’être en «démocratie».

Dès le début de l’assaut, les télévisions brésiliennes avaient bouleversé leurs programmes pour suivre en direct les événements. «Ce qu’on voit, c’est un crime, c’est du vandalisme, totalement antidémocratique. C’est un coup d’Etat tenté par des criminels, il n’y a pas d’autre mot pour ça», lâchait un intervenant sur Globo News. «L’épisode du Capitole a eu lieu pendant le travail des députés. Là c’est arrivé pendant un dimanche : qui ces bolsonaristes cherchent-ils à atteindre alors qu’il n’y a personne au Congrès ?» s’interrogeait un autre journaliste.

La sécurité pointée du doigt

Beaucoup pointent la faiblesse du dispositif de sécurité des institutions et la passivité des forces de police brésilienne une fois les bâtiments aux mains des manifestants. Sur une vidéo qui circule beaucoup sur Twitter, on voit notamment deux policiers discuter calmement avec des partisans de Bolsonaro pendant que le Congrès est envahi. «A Washington, les forces de sécurité avaient réagi rapidement. Là, on se demande ce qu’elles font. On dirait qu’elles sont complices», dénonce un intervenant sur Globo News.

Depuis deux mois et l’élection de Lula, des camps de bolsonaristes refusant de reconnaître les résultats sont installés à Brasília. Installés devant des casernes militaires, ils réclamaient l’intervention de l’armée pour empêcher Lula de revenir au pouvoir. Ils y sont restés ces derniers jours, en dépit du départ de Jair Bolsonaro pour la Floride. Juste après sa prise de fonction, le nouveau gouvernement avait promis de démanteler ces campements. En milieu de semaine, le ministre de la Justice assurait qu’ils seraient enlevés «avant vendredi».

En dépit des promesses, les tentes étaient toujours là au début du week-end, alors que des dizaines de bus de manifestants étaient attendues à Brasília pour leur prêter main-forte. Le gouvernement avait certes fait appel à quelque 400 policiers de la Force nationale pour renforcer la sécurité aux abords de la place des trois pouvoirs. Mais cette goutte d’eau n’a pas suffi. Pointé du doigt par beaucoup, le directeur de la Sécurité de l’Etat de Brasília, ancien ministre de la justice Jair Bolsonaro, a été licencié en fin d’après-midi, avant même que les manifestants n’aient été repoussés.

Mises à jour à 3 h 15 et 4 h 25 lundi avec la fin des opérations d’évacuations et les réactions de Lula et Bolsonaro.