Pour la postérité, le destin de Chelsea Manning a basculé un jour de février 2010 lorsque, connectée au wi-fi léthargique d’une librairie Barnes & Noble de Rockville, Maryland, elle a transmis à WikiLeaks des centaines de milliers de rapports militaires américains sur les guerres d’Afghanistan et d’Irak. Manning, à l’époque identifiée comme un garçon, a 22 ans, elle est analyste du renseignement dans l’armée de Terre, elle est en permission après quatre mois passés dans le désert irakien. Elle sait qu’elle prend des risques ; elle ignore encore à quel point. Pas un instant elle n’imagine que, trois mois plus tard, elle sera enfermée dans une cage d’acier sous une tente, au Koweït, par une chaleur étouffante.
Pour Chelsea Manning elle-même, l’envoi ce jour-là de cette masse de documents classifiés à l’organisation de Julian Assange fut, dit-elle, «une décision parmi beaucoup d’autres», au sein d’une «fenêtre étroite» de temps : le temps de son expérience de la guerre, le temps pendant lequel s’est forgée sa conviction que ses concitoyens avaient le droit de savoir – devaient savoir – ce qu’était la réalité de ces guerres menées sous leur drapeau. Entre son incorporation, en septembre 2007, et son arrestation, il s’est écoulé moins de trois années. Elle résume : «Ça a été un début de vingtaine vraiment effréné.»
Son récit, sa version, sa voix
Chelsea Manning, l’une des lan