Il ne manquait plus que la candidature d’Ingrid Betancourt à la présidence colombienne pour, à la fois, encombrer et rafraîchir un panorama préélectoral plutôt confus. Notamment au centre de l’échiquier politique, l’ancienne victime des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, guérilla marxiste aujourd’hui démobilisée) va disputer une primaire au sein de la coalition Centro Esperanza (Coalition Centre Espérance) de mars en vue de la présidentielle de juin.
Ingrid Betancourt revient en politique exactement vingt ans après son enlèvement et le long calvaire – sept ans dans des conditions inhumaines – qu’elle a enduré comme otage des Farc. «Je suis ici aujourd’hui pour terminer ce que j’ai commencé avec beaucoup d’entre vous en 2002», a-t-elle annoncé lors d’une conférence de presse à Bogota mardi. Comme pour rappeler aux Colombiens que la dirigeante du petit parti Vert Oxygène qui vient de renaître de ses cendres, est loin d’être une bleue en politique et qu’elle était justement déjà candidate à la présidence de la République au moment de son enlèvement.
Figure controversée
A 60 ans, l’ancienne représentante au Congrès (1994-1998), puis sénatrice (1998-2002) reste une figure controversée en Colombie. Elle appartient à l’élite blanche du pays : son père (mort lorsqu’elle était en captivité) a été notamment ambassadeur et ministre et sa mère a été reine de beauté et sénatrice. La lutte contre la corruption a toujours été son principal cheval de bataille : on l’a ainsi vue distribuer des préservatifs en pleine rue (pour se protéger des corrompus), alors en campagne électorale dans la prude et violente Colombie des années 90, ou faire une grève de la faim en plein Congrès pour protester contre les manœuvres politiciennes de certains de ses collègues.
Car si la France entière en a fait à la fois une martyre et une héroïne, dans son pays elle n’est pas forcément aimée. De nombreux Colombiens lui ont longtemps reproché, pêle-mêle, d’avoir été une victime plus médiatique que les autres (quand il y avait des centaines d’autres otages en Colombie) et donc d’être trop Française (pays où elle a étudié, dont elle a acquis la nationalité par mariage et qui l’a tant médiatisée), d’être aussi trop bourgeoise pour faire de la politique, ou encore d’avoir osé demander une indemnité de réparation à l’Etat colombien pour son enlèvement (demande légale qu’elle a retirée face au tollé), ou pire, qu’elle serait responsable de son enlèvement puisqu’elle avait pris la route ce jour fatal sans tenir compte des avertissements de l’armée.
Spirale de violence
De l’eau a coulé sous les ponts depuis. L’ancienne otage s’est un temps éloignée de la Colombie après son enlèvement, écrivant un livre en France (Même le silence a une fin, Gallimard, 2010) ou étudiant la théologie à Londres. On l’a revue en 2018 pour soutenir au second tour de la présidentielle le candidat de gauche Gustavo Petro, juste avant sa défaite d’un cheveu contre l’actuel président Ivan Duque. L’année dernière, elle s’est confrontée à ses anciens bourreaux devant la Commission vérité pour un exercice inédit de réconciliation. L’accord de paix historique signé par les Farc en 2016 a transformé l’ancienne guérilla en un parti légal, dont quelques anciens chefs sont devenus congressistes.
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Le retour en politique d’Ingrid Betancourt intervient dans une Colombie polarisée, qui replonge malheureusement dans des spirales de violence dramatiques après quatre ans d’un gouvernement ayant tout fait pour freiner la mise en œuvre de l’accord de 2016 et relançant de fait avec succès les logiques de guerre. Plus de 300 ex-guérilleros signataires de la paix ont été assassinés depuis 2016, sans compter les centaines de militants des droits de l’homme et de l’environnement exécutés pendant le même moment.
Candidate de la paix et de la réconciliation
C’est dans ce contexte que les Colombiens doivent d’abord élire le 13 mars leurs représentants au Congrès et au Sénat et désigner les candidats à la présidentielle lors de plusieurs primaires : une partie de la droite dans la coalition Equipe Colombie, au centre avec la coalition Centre Espérance et à gauche au sein du Pacte historique. Deux autres candidats de droite se présentent sans primaire, Oscar Zuluaga pour le parti Centre Démocratique au pouvoir et Rodolfo Hernandez, un populiste qui grimpe dans les sondages face au ras-le-bol des Colombiens de la classe politique traditionnelle. Pour l’instant, le grand favori de la présidentielle reste l’ancien maire de Bogota, Gustavo Petro, qui devrait remporter sans inquiétude la primaire à gauche.
Au centre, le jeu est plus compliqué : Ingrid Betancourt affrontera sept autres candidats. Elle a pour elle d’être la seule femme de cette coalition de l’Espérance très blanche, très classique, et très masculine… Elle devra cependant surmonter le désamour chronique qu’elle entretient avec la Colombie, pour pouvoir incarner une sorte de candidate de la paix et de la réconciliation. Sachant qu’elle part très en retard vis-à-vis de ses concurrents : à moins de deux mois des primaires et quatre de la présidentielle.