«On va enfin pouvoir revenir à la normale». Après l’élimination du Brésil aux tirs au but, vendredi soir, par la Croatie, Isabel se faisait une raison. Et, cerise sur le gâteau pour cette avocate de gauche, Jair Bolsonaro, le président sortant, «n’aura pas la photo qu’il espérait avec Neymar», si les Auriverdes avaient réussi leur pari de décrocher l’«hexa», soit leur sixième Coupe du monde. Vingt ans après la cinquième couronne de la sélection la plus titrée de la planète, le «rêve de l’hexa» a une nouvelle fois tourné court.
Beaucoup y ont cru cette année. «Nous autres Brésiliens croyons toujours à la victoire, précise Gabriela, croisée dans un centre équestre qui diffusait le match sur écran géant. Et cette fois, plus encore, parce que cela fait longtemps que nous n’avons plus remporté un Mondial.» Si Gabriela, elle, n’en fait pas une montagne, «pour une majorité de Brésiliens, cette élimination est quelque chose de très triste», estime-t-elle encore.
Compte-rendu
«Malgré la pugnacité croate, personne au Brésil n’imaginait une défaite», renchérit Rodrigo, encore incrédule. D’autant que la presse brésilienne, généralement très sévère envers la Seleção, se montrait confiante. Si Rodrigo se dit «déçu», c’est surtout, précise ce chef d’entreprise, parce que «décrocher le trophée aurait permis de faciliter les choses alors que le pays traverse une phase politique complexe». Une pudique référence à l’extrême polarisation de l’opinion à la suite de la présidentielle du 30 octobre dernier, remportée sur le fil par Lula da Silva face à Jair Bolsonaro.
Le président élu, pour sa part, s’est fendu d’une déclaration diplomatique à l’endroit du numéro 10 du Brésil, électeur déclaré de son adversaire. «Neymar a marqué un beau but, a tweeté Lula. L’équipe s’est appliquée et méritait mieux. Allons de l’avant ! Dans la vie, on ne peut pas baisser les bras.»
O Brasil se esforçou, Neymar fez um belo gol e o time merecia mais. Meus cumprimentos aos jogadores e comissão técnica. Vamos em frente que na vida jamais podemos desistir 🇧🇷
— Lula (@LulaOficial) December 9, 2022
Bouddhiste énervée
Le commentateur et ex-joueur Casagrande, quant à lui, est moins indulgent, rappelant que pour le cinquième Mondial d’affilée, le Brésil est sorti par une équipe européenne, «moyenne» de surcroît. «Nous ne nous sommes imposés que face à une formation faible, la Corée du Sud [en huitième de finale, lundi dernier], ce qui a suffi pour que les chauvins décrètent que la Seleção est un “phénomène”. Or, comme en 2018, nous n’avons pas d’équipe, juste des joueurs sur le terrain.»
Chronique
«Triste, mais soulagé face à une nouvelle génération prometteuse», Casagrande enfonce : «Si le prochain entraîneur est un tant soit peu intelligent, il écartera Neymar de ces jeunes joueurs pour ne pas les pourrir.» En poste depuis six ans, l’actuel coach, Tite, a rendu son tablier dès hier. C’est la deuxième fois que le Brésil est éliminé – en quarts – avec lui.
Même la moinesse bouddhiste Coen Roshi a abandonné la zen attitude pour l’interpeller. «Pourquoi Neymar n’a-t-il pas été aligné pour les tirs au but ?» a interrogé, dans une vidéo postée sur le réseau Instagram, cette papesse de la méditation. «Bravo, Tite ! Tu as réussi à énerver la moinesse», se sont amusés des internautes.
«Des mercenaires»
Miguel, lui, ne s’amuse pas. A ses yeux, les prises de position de certains joueurs, qui ont soutenu ouvertement Bolsonaro, ont «dégonflé» nombre de supporteurs dans un climat politique déjà «tumultueux». «La population a gardé une distance avec cette équipe, observe cet homme d’âge avancé. On connaît mieux les noms des onze membres de la Cour suprême que ceux de nos joueurs. D’autant qu’ils évoluent en Europe et sont plus soucieux de leur carrière que du maillot national.»
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Miguel va maintenant soutenir le Portugal, l’ancienne métropole. «Jamais l’Argentine», voisine mais archi-rivale. Sa gorge se noue. Il évoque Pelé – hospitalisé – ou encore, ces autres dieux brésiliens du stade que furent Garrincha, Gerson ou Rivellino. «Ils jouaient par amour pour le sport, pas pour l’argent, reprend le vieux monsieur. C’étaient de véritables idoles. Aujourd’hui, nous avons des mercenaires.» Une opinion largement partagée ici.
Herbert, la trentaine, observe que la «Copa» avait malgré tout «réussi à faire oublier provisoirement nos divisions politiques». «Avant, on s’interpellait à coups d’invectives. Et maintenant ?» Lui voyait dans la Seleção «une grande équipe». Edson, son collègue, était moins confiant. Il résume le sentiment général dans cette grande nation du foot qui se prend à douter. «Autrefois, seul le Brésil savait jouer, fait Edson. Aujourd’hui, ça s’est nivelé. Nous ne sommes plus les meilleurs du monde. Nous vivons de notre splendeur passée.»