Une dame d’un grand âge est transportée sur une chaise par deux soldats masqués derrière leur visière, engoncés dans des gilets pare-balles. C’est l’une des «Cartes postales d’une vaccination insolite», le portfolio publié par le média indépendant Pie de Página. La scène se déroule dans un centre de vaccination en plein air contre le Covid-19 de la région de La Montaña, dans l’Etat méridional du Guerrero, l’une des zones les plus pauvres et abandonnées du Mexique.
L’article qui accompagne les photographies affirme que la vaccination au Mexique est conçue comme «un exercice inédit de justice sociale», visant les pauvres, les indigènes et les isolés. Les oubliés parmi les oubliés. L’image est touchante. Les espadrilles usées au bout des jambes rachitiques de la dame âgée contrastent avec les gants blancs des soldats, conférant au tableau une touche presque cérémonielle. La photographie s’accorde au slogan du président mexicain Andrés Manuel López Obrador : «D’abord les pauvres.» Et dans le scénario idéal qu’il a imaginé, les militaires endossent le rôle de sauveurs du peuple.
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A travers le pays, les Mexicains voient des militaires en sureffectifs transporter et surveiller les vaccins, des soldats armés jusqu’aux dents passer en revue des troupes de personnes âgées qui attendent et dansent à l’extérieur des centres de vaccination, des hommes en treillis tenir l’ombrelle des vieilles dames, leur prendre le bras pour les aider à avancer dans la file. C’est tout un show. Et le militaire semble avoir reçu la consigne de se situer au plus près de l’aiguille salvatrice : sur presque chaque cliché d’injection, il est là, observant la manœuvre, son casque et son fusil d’assaut l’encombrant.
Armée de vaccination
Personne ne s’explique un tel déploiement de forces pour une campagne qui est avant tout sanitaire, si ce n’est par la volonté d’Amlo, le surnom du président. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, il a donné à l’armée des pouvoirs qu’elle n’osait convoiter, lui a confié la politique sécuritaire, les grands chantiers d’infrastructures, les aéroports et la construction du train touristique du sud-est du Mexique… Aujourd’hui, il la présente comme une armée de vaccination.
Le contrechamp de toutes ces images est plus inquiétant. A ce stade, le Mexique n’a administré que 3,5 millions de vaccins, en deçà de la moyenne mondiale, alors que le seuil des 200 000 morts du Covid-19 sera bientôt dépassé. Plus préoccupant encore : sur 1,2 million de travailleurs de la santé, seuls 650 000 environ ont reçu les deux injections. Et le personnel des hôpitaux privés dénonce son exclusion de la première phase de la vaccination, au même titre que les ambulanciers et les employés des entreprises funéraires, relégués au rang de «non prioritaires». Les pauvres, qui représentent la moitié de la population, affrontent la pandémie sans aucun soutien économique du gouvernement. Des millions de familles n’ont pas accès à l’eau courante, en particulier à Mexico, où les coupures d’eau sont fréquentes. Dans les populations les plus démunies, les écoles fermées et la brèche numérique poussent les enfants vers le décrochage scolaire et davantage de misère. Mais qu’elle est belle l’image des soldats qui viennent en aide aux Mexicains les plus misérables…