Haïti s’enfonce encore une fois dans la crise politique. L’opposition haïtienne a désigné, au cours de la nuit du 7 au 8 février, un dirigeant par intérim, Joseph Mécène Jean-Louis, pour tenter d’évincer le président contesté Jovenel Moïse, qu’elle accuse de vouloir rester illégalement au pouvoir. Cette «tentative de coup d’Etat» avait, selon l’entourage du président, aussi pour but de l’assassiner. 23 opposants, dont plusieurs membres des forces de l’ordre, ont été arrêtés. L’opposition «avait contacté de haut gradés de la police au Palais national qui avaient pour mission d’arrêter le président […] et de faciliter l’installation d’un nouveau président provisoire qui aurait assuré la transition», a détaillé le Premier ministre, Joseph Jouthe. Le directeur général de la police nationale Léon Charles a précisé que de l’argent et des armes avaient été saisis dans la nuit de samedi à dimanche, notamment deux fusils d’assaut M14, un mini Uzi, trois pistolets 9 mm et plusieurs machettes.
Dans une vidéo transmise à l’AFP, le magistrat de 72 ans Joseph Mécène Jean-Louis a déclaré «accepter le choix de l’opposition et de la société civile pour pouvoir servir son pays comme président provisoire de la transition». D’après l’ancien sénateur Youri Latortue, cet intérim est prévu pour durer 24 mois. «La feuille de route est établie pour deux ans avec l’organisation d’une conférence nationale, l’élaboration d’une nouvelle constitution et la tenue des élections», a détaillé M. Latortue, qui, après avoir été conseiller de l’ancien président Michel Martelly, mentor de Jovenel Moïse, a rejoint l’opposition.
Jovenel Moïse se dit légitime jusqu’au 7 février 2022. Cependant, cette date est contestée par les partis d’opposition et une partie de la population haïtienne. Pour eux, le mandat du président s’est achevé dimanche dernier. Ce conflit est lié au fait qu’il avait été élu le 25 octobre 2015 lors d’un scrutin annulé pour fraudes, puis réélu un an plus tard. Le résultat de ce deuxième scrutin n’a pas été reconnu par l’opposition.
Le calendrier électoral mise en cause
De leur côté, les Nations unis semblent pourtant valider le calendrier électoral défendu par le chef du pays caribéen. «Il a prêté serment en février 2017 pour un mandat de cinq ans», a déclaré lundi Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’organisation Antonio Guterres. L’instance internationale a invité toutes les parties à prendre leurs responsabilités pour apaiser les tensions. Un appel similaire a été lancé par plusieurs ONG, représentants d’Etat et experts spécialistes de ce petit pays caribéen. C’est le cas d’Eric Sauray, politologue, avocat et enseignant à l’université Paris XIII.
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«La majorité et l’opposition sont tous les deux fautifs dans cette histoire. La seule victime, c’est le peuple pris au piège. On savait tous que la question de la durée du mandat allait se poser à un moment ou à un autre», explique-t-il. Avant d’ajouter : «Jovenel Moïse n’a rien fait pour anticiper le problème. Il n’a pas organisé d’élections et c’est une grande erreur de sa part. De la même manière, l’opposition n’a pas bougé pour trouver une solution adéquate. Ces derniers préfèrent arriver au pouvoir sans passer par les élections en utilisant la violence, et cela n’est pas acceptable en démocratie.»
Vide institutionnel
Privé d’institutions politiques et juridiques, Haïti ne peut pas aujourd’hui légalement départager les deux camps. Le Conseil constitutionnel qui aurait pu trancher sur la durée du mandat présidentiel n’existe pas. «C’est l’une des principales raisons pour lesquelles le pays est traversé par une crise politique tous les deux ou trois ans. La classe politique est incapable de se concentrer sur ce qui réellement nécessaire au développement du pays», indique Eric Sauray.
Le pays ne dispose plus de Parlement fonctionnel depuis janvier 2020. Les deux tiers des sénateurs ont été révoqués au cours des derniers mois par Jovenel Moïse. Le président gouverne depuis par décrets. Cette situation alimente la défiance croissante de la population haïtienne envers les élites du pays. Minés par la pauvreté et sous la menace quotidienne des gangs, la plupart des Haïtiens suivent avec attention cette guerre politique en haut lieu. Quelques centaines de jeunes de l’opposition sont descendues ces derniers jours dans les rues pour réclamer le départ du président.