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Libération
Vu du Mexique

Derrière le drame du métro, la cassure sociale de Mexico

Le pont aérien qui s’est effondré, le 3 mai, reliait la périphérie et ses travailleurs pauvres au centre de la capitale où se trouvent leurs emplois. La catastrophe prouve, une fois encore, à quel point sont délaissés les habitants de ces quartiers.
Le 4 mai, après l'effondrement d'un pont aérien de la ligne 12 de métro de Mexico, qui a fait au moins 26 morts. (Fernando Llano/AP)
publié le 14 mai 2021 à 16h14

L’image des deux wagons orange du métro de Mexico, suspendus symétriquement dans le vide après l’effondrement d’un pont aérien le 3 mai qui a fait au moins 26 morts, est si spectaculaire et bouleversante que les responsables politiques se sont empressés de chercher un terme qui pourrait atténuer le choc ressenti par la population. La désescalade rhétorique a d’abord écarté «accident», envisageant un moment le lénifiant «lamentable imprévu», avant de finir par s’arrêter sur «incident». La maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, s’est engagée à expliquer ultérieurement pourquoi son choix s’est finalement arrêté sur ce mot. Or rien, et encore moins la promesse d’une discussion sémantique dérisoire, ne pouvait estomper la commotion des habitants, convaincus d’assister à une catastrophe majuscule provoquée par l’indolence des autorités.

Plus de quatre millions et demi de passagers voyagent quotidiennement en métro à Mexico. Accablée par les rumeurs d’une construction bancale enrobées dans un halo de corruption, puis par les défaillances techniques attribuées à un cumul de négligences, la réputation sulfureuse de la ligne 12, la plus récente, n’était plus à faire. «Nous voyagions dans une bombe à retardement et nous le savions tous», témoigne Esmeralda Santiago, une professeure rencontrée parmi les usagers qui se massent près des stations de métro, attendant les bus qui couvrent le parcours de la ligne 12.

Les quartiers populaires, éternels rejetés

L’image du métro brisé en deux préfigure aussi une cassure sociale. La ligne 12 avait le seul et l’immense mérite de raccrocher à Mexico les quartiers populaires du sud-est, les éternels rejetés aux confins de la mégalopole. «Avec le métro, aller au travail me prend une heure, et sans métro, trois heures», explique Arturo Alvarez, un employé municipal qui habite tout au bout de la ligne. Six à sept heures par jour dans les transports, des bus bondés qui sont pris pour cible par les braqueurs qui dévalisent les passagers : c’est ce que subissent avec fatalisme les classes laborieuses de Mexico.

Dans les mêmes quartiers marginalisés du sud-est, les habitants pâtissent déjà des coupures d’eau, du manque d’infrastructure électrique et de toutes sortes de maux liés à l’agglutinement chaotique de constructions informelles. Loin du centre et du regard de ses gouvernants, la capitale dévore les zones rurales et les régurgite sous la forme de milliers de cubes gris. Ces quartiers d’habitations basses s’infiltrent entre les anciens villages et les cimentent dans l’infinité urbaine.

Dans les communes d’Iztapalapa et de Tláhuac, desservies par la ligne 12, vivent plus de deux millions de personnes, un quart des habitants de Mexico, des travailleurs, dont beaucoup d’émigrés venus des régions les pauvres du pays. La ligne 12 avait soldé cette dette historique envers ceux sans qui la capitale ne fonctionnerait pas. Ils avaient été intégrés dans la ville. Mais le métro tombe et, à nouveau, Mexico est disloquée.