Au moment où les Etats-Unis ont fortement restreint les possibilités d’entrée sur leur territoire de citoyens vénézuéliens, un autre pays décide de ne plus les accueillir : la Première ministre de Trinité-et-Tobago a menacé, jeudi 5 juin, d’employer la «force létale» contre tout bateau vénézuélien qui mettrait le cap sur l’archipel des Caraïbes. Elle a en outre «conseillé» aux migrants de la République bolivarienne déjà présents, évalués à 70 000, de quitter le pays.
«Nous devons prendre toutes les menaces contre toute incursion sur notre territoire au sérieux», a déclaré Kamla Persad-Bissessar, en réponse à une déclaration du gouvernement vénézuélien qui avait annoncé, mercredi, l’arrestation d’un «mercenaire» trinidadien soupçonné de préparer des actions terroristes. La Première ministre a réfuté cette accusation «sans preuves». Vendredi, Caracas en a rajouté en critiquant «l’attitude virulente et grandiloquente de la Première ministre [qui] suscite de sérieux soupçons de complicité dans l’incursion» de «criminels trinidadiens».
Réserves mirifiques de gaz
Le régime chaviste, au pouvoir depuis 26 ans au Venezuela, dénonce régulièrement des complots, le plus souvent imaginaires. Trinité-et-Tobago, l’archipel le plus au sud des Caraïbes, et le Venezuela ne sont distants que de 10 kilomètres de mer, et les échanges de produits et de populations ont été constants depuis l’époque de la colonisation.
Kamla Persad-Bissessar, 73 ans, est en fonction depuis le 31 avril, après la victoire écrasante de son parti, le Congrès national uni (UNC, centre) aux élections législatives. Elle a ainsi retrouvé un poste qu’elle a occupé entre 2010 et 2015. L’un des tournants de la campagne a été l’annonce, le 9 avril, de la révocation par les Etats-Unis du permis autorisant Trinité-et-Tobago à exploiter, conjointement avec le Venezuela, le site gazier Dragon, situé en mer, et dont les mirifiques réserves sont évaluées à plusieurs dizaines de milliards de mètres cubes. Ce projet est considéré comme crucial pour l’économie de l’archipel, autant que pour le Venezuela.
Mais les Etats-Unis, qui cherchent à asphyxier économiquement le régime de Nicolás Maduro par des sanctions, ne sont pas disposés à faire le moindre cadeau à Caracas. Donald Trump avait peu auparavant révoqué les licences pétrolières qui permettaient aux multinationales de travailler au Venezuela malgré l’embargo pétrolier.
Si l’archipel décidait de passer outre le véto de Washington, il s’exposerait à son tour à de lourdes sanctions. Et Kamla Persad-Bissessar ne semble pas disposée à déplaire à la Maison-Blanche. «Nous soutenons fermement le gouvernement américain sur les questions concernant le Venezuela», a martelé jeudi la Première ministre. Trinité-et-Tobago peut difficilement entrer en crise avec les Etats-Unis, où vivent plus de 200 000 de ses ressortissants, qui apportent une indispensable manne en dollars.
Le sixième pays le plus dangereux du monde
L’archipel est sorti mi-avril d’un état d’urgence décrété en décembre 2024 en raison de la violence endémique. De source officielle, plus de 600 homicides, pour la plupart liés à des gangs criminels, ont été enregistrés en 2024. Plus qu’en 2023, où le taux de 37 morts violentes pour 100 000 habitants avait déjà classé Trinité-et-Tobago au sixième rang des nations les plus dangereuses au monde, selon un rapport du département d’Etat américain.
Evoquant la criminalité dans le pays, Kamla Persad-Bissessar a lancé : «Je vous ai averti avant les élections […], pourtant les crimes impliquant des Vénézuéliens continuent d’augmenter.» «Je conseille aux migrants vénézuéliens qui sont ici de commencer à retourner dans leur pays», a-t-elle conclu.
De son côté, le président américain a utilisé le même amalgame entre migrants vénézuéliens, pour certains munis de permis de séjour, et le gang multinational du Tren de Aragua, pour lancer une campagne d’expulsions indiscriminées. 252 Vénézuéliens ont ainsi été détenus, en l’absence de tout mandat d’arrêt, et envoyés le 15 mars dans une méga prison du Salvador, sur la base d’une loi obsolète de 1798 sur les «ennemis étrangers». Avocats et militants des droits humains ont démenti ces accusations, et affirmé que la plupart des prisonniers ont été arrêtés car porteurs de tatouages sans lien avec la moindre organisation criminelle.
Selon les Nations unies, près de 8 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays au cours de la dernière décennie, poussés par la crise politique, économique et sociale. La population actuelle s’est contractée à 30 millions de personnes. Le 4 juin, Donald Trump a annoncé que les Vénézuéliens candidats à un séjour limité et porteurs d’une série de visas (études, tourisme, affaires…) ne seraient plus admis aux Etats-Unis.