L’un des deniers jours de 2023, la police de Riverdale, dans l’Utah, découvre dans une zone montagneuse et enneigée un adolescent de 17 ans, enfermé dans une tente de campagne et absolument pas équipé pour résister aux températures glaciales de la région : une doudoune, une couverture thermique, un sac de couchage, quelques vivres et une bouteille d’eau. Ainsi que plusieurs téléphones portables. Le bureau du sheriff est intervenu à la suite du signalement émis depuis la Chine par les parents de Kai Zhuang, étudiant en échange scolaire aux Etats-Unis. Leur fils a été enlevé, affirment-ils, une rançon a été demandée et une photo de l’otage transmise.
Kai Zhuang n’a en fait jamais été enlevé. Il est tombé dans le piège démoniaque d’un cyber-enlèvement, une escroquerie en plein essor qui vise en priorité de jeunes Chinois expatriés.
Courant décembre, le jeune homme aurait reçu un appel le contraignant à simuler son propre enlèvement, afin que ses parents versent une rançon. Le scénario, dont les détails n’ont pas été divulgués, est abracadabrant mais il fonctionne. Sur ordre des escrocs, l’étudiant change de téléphone, puisqu’une des conditions posées est de ne pas contacter ses proches. Il suit à la lettre les instructions : il achète du matériel de camping, s’isole dans la montagne et se prend en photo pour prouver qu’il respecte le contrat. C’est cette image que les prétendus ravisseurs envoient à la famille, accompagnée d’une demande de 80 000 dollars (73 000 euros). Les appels vers le téléphone de l’ado restent bien entendu sans réponse : il ne l’a pas apporté sous la tente.
Un coup de chance a mis la police sur la piste de l‘ermite malgré lui. Le 20 décembre, dans le comté de Provo, une autre région boisée de l’Utah, le jeune homme marche en transportant son matériel de camping quand il croise une patrouille. Intrigués par la présence d’un randonneur en plein hiver, les agents interrogent Kai Zhuang qui parle d’une balade, en aucun cas des menaces qu’il a reçues. Son projet étant jugé peu raisonnable en raison des conditions météo, l’étudiant est ramené dans sa famille d’accueil à Riverdale.
Pour Kai Zhuang, le risque de mourir de froid
La police fera le lien avec l’enlèvement supposé quelques jours plus tard. Une analyse des données du téléphone du jeune homme montre qu’il avait fait des repérages peu auparavant, dans le canyon de Bingham City. C’est exactement le lieu où un drone localise sa tente. Quant à l’étudiant, il est d’après ses sauveteurs «frigorifié et terrorisé», et formule deux désirs : «un cheeseburger bien chaud» et appeler ses parents, précise un communiqué de presse du chef de la police de Riverdale, Casey Warren. Qui ajoute que le risque de mourir de froid dans la nuit en étant très peu protégé était réel.
Kai Zhuang est loin d’être le seul jeune Chinois victime d’un cyber-enlèvement. Dans d’autres pays anglophones (Amérique du Nord, Pacifique, Royaume-Uni) et au Japon, des cas ont été dénoncés. Le site de la BBC en a recensé plusieurs. Leur étude dessine un mode opératoire qui a probablement été appliqué aussi dans l’Utah. L’étudiant chinois est contacté par de supposés fonctionnaires de son pays (ambassade, services de l’immigration…) qui lui parlent d’un problème juridique, souvent assorti d’une menace d’arrestation, contre lui-même ou un membre de sa famille.
Une forte somme d’argent peut régler le problème, ajoutent les escrocs. Pour se la procurer, ils proposent de simuler un enlèvement. La condition de cette fable rocambolesque est bien sûr l’isolement : pas de contact de la victime avec ses parents, pas de possibilité d’être joint.
Jeunes, isolés et fragilisés
Comment des étudiants «digital natives», censés être conscients des arnaques qui pullulent sur Internet et les réseaux sociaux, peuvent-ils tomber dans le panneau ? On peut avancer quelques hypothèses. Jeunes, loin de leur foyer et plongés dans une société très différente de la leur, ils se retrouvent fragilisés. Venant d’un pays qui exerce un fort contrôle social sur sa population, ils peuvent aussi être intimidés par le statut de fonctionnaires invoqué par leurs correspondants. Et la corruption n’étant pas rare en Chine, la proposition de régler un tracas moyennant finances ne les surprend pas.
Un autre cas d’enlèvement virtuel avait eu une grande répercussion en octobre 2013, d’autant que ses victimes étaient des musiciens connus : le groupe Delorean, fleuron de la scène «indie» en Espagne. A leur arrivée à Mexico, où ils devaient entamer une tournée, les membres reçoivent à leur hôtel un appel de la police, qui leur fait part d’un projet d’enlèvement contre eux et leur demande leur collaboration pour piéger les ravisseurs. Ils doivent s’enfermer dans une seule chambre, jeter les cartes SIM de leurs téléphones dans les toilettes, en acheter de nouvelles et attendre les instructions.
Quarante-huit heures sans sommeil
Une fois le groupe isolé dans l’hôtel et injoignable, les «policiers» se dévoilent : ce sont les ravisseurs. Ils assurent qu’ils surveillent ce qu’il se passe dans la chambre d’hôtel, qu’ils contrôlent les entrées et sorties du bâtiment, afin de dissuader toute tentative de le quitter. Les appels intimidatoires se succèdent jour et nuit. Pendant ce temps, le gang demande une rançon aux proches : une enquête à travers les réseaux sociaux leur a fourni leurs numéros de téléphone.
Incapables de contacter leurs enfants, les familles préviennent la police régionale basque qui alerte ses homologues à Mexico. Les agents locaux n’ont plus qu’à frapper à la porte de la chambre et dire aux musiciens terrorisés : vous êtes libres, personne ne vous surveille, cette histoire n’est rien d’autre que du bluff… Traumatisé par quarante-huit heures sans sommeil, Delorean annule sa tournée, et rentre en Espagne où le groupe poursuivra sa carrière jusqu’à sa séparation, en 2018.
Dans tous les pays où des cas de cyber-enlèvements ont été signalés, notamment contre des étudiants chinois, les autorités conseillent de se méfier des appels d’inconnus et de vérifier auprès des administrations ou ambassades en cas de doute. Et de prendre conscience que l’arme de la manipulation psychologique, à travers un simple coup de téléphone, peut faire autant de ravages que la fraude technologique.