Depuis ce lundi 26 août, il est plus difficile de pénétrer au Brésil pour les citoyens de nombreux pays. Les autorités ont en effet durci les conditions d’entrée sur le territoire afin de limiter l’afflux de migrants arrivant par l’aéroport international de Sao Paulo. Ils doivent désormais présenter un visa de séjour en bonne et due forme, et non plus un simple visa de transit, sous peine d’être renvoyés à leur point de départ. La décision est justifiée le gouvernement de gauche du président Lula : le pays est, selon le ministère de la Justice, un maillon privilégié de l’itinéraire «d’organisations criminelles qui pratiquent la contrebande de migrants et le trafic de personnes» à destination des Etats-Unis.
Interview
La Police fédérale fait état d’une augmentation «exponentielle» des arrivées de voyageurs dans l’aéroport de Guarulhos, près de Sao Paulo, la plus grande mégalopole d’Amérique latine avec 33 millions d’habitants. Censés faire une simple escale, ces visiteurs manquent volontairement leur correspondance vers la destination finale pour tenter d’entrer en territoire brésilien. En attendant, ils peuvent rester plusieurs semaines confinés dans une zone de transit débordée par l’afflux.
Des conditions alimentaires et sanitaires précaires
Ces dernières semaines, les médias ont montré des images de centaines de migrants entassés et dormant sur le sol, dans un espace du terminal 3 de Guarulhos, aux conditions alimentaires et sanitaires déficientes. Un citoyen ghanéen est décédé le 13 août, après cinq jours passés dans la zone de transit. «Il a eu un malaise, a été soigné par une équipe médicale et transféré vers un hôpital public, où il est mort après un infarctus», a expliqué la Police fédérale à l’AFP.
La plupart des migrants sont originaires de pays asiatiques (Inde, Népal, Vietnam) ou d’Afrique, et sont munis de billets vers d’autres pays d’Amérique du Sud. «Des organisations criminelles les orientent à demander l’asile pour entrer en territoire brésilien», explique la Police fédérale. S’ils y parviennent, ils poursuivent leur voyage par voie terrestre. Ils rejoignent la Colombie, puis le Panama, en traversant la dangereuse jungle du Darién. Ils doivent ensuite remonter toute l’Amérique centrale pour atteindre le Mexique, porte d’entrée clandestine vers les Etats-Unis ou le Canada.
La Défense publique du Brésil (DPU), un organisme officiel mais indépendant des pouvoirs, qui veille au respect des droits humains et apporte une aide juridique aux démunis, a tiré la sonnette d’alarme le 20 août, après avoir constaté la présence dans la zone d’attente de 550 personnes, dont des enfants, des adolescents non accompagnés ou des femmes «en situation d’extrême vulnérabilité». Les migrants retenus reçoivent peu de soins médicaux et souffrent du froid (c’est l’hiver austral dans l’hémisphère sud). Aucune couverture ne leur est distribuée, dénonce le DPU.
➡️ Fome, frio e gripe: DPU vê “violação” de imigrantes em aeroporto de SP
— Metrópoles (@Metropoles) August 21, 2024
Defensoria Pública da União (DPU) vê violação de direitos humanos na retenção de imigrantes no Aeroporto Internacional de Guarulhos (SP)
Leia: https://t.co/k3ZHBGZ22h pic.twitter.com/bUXyP1FkOt
Une photo prise à l’entrée de l’aire de rétention, dans le terminal 3, et diffusée par le DPU, a fait réagir sur les réseaux sociaux. On y voit une liste de consignes affichée sur une simple feuille manuscrite : «Ne pas déplacer les Inads (individus non admis, ndlr). Ne pas les emmener à la pharmacie. Ne pas les emmener acheter de l’eau ou du café. Ne les faire sortir sous aucun prétexte. Cordialement, la supervision.»
Une explosion des demandes d’asile
La DPU souligne que ces conditions violent les droits élémentaires des personnes. D’après les données officielles, le nombre de demandes d’asile dans cet aéroport fréquenté par 35 millions de voyageurs par an a été multiplié par 60 en dix ans, passant de 69 en 2013 à 4 239 en 2023. 2024 établira un nouveau record : 5 428 demandes ont été déposées de janvier à juillet, soit 25 par jour en moyenne, et pas moins de 864 du 1er au 21 août (41 par jour).
Après une intervention du Parquet la semaine dernière, les autorités ont renforcé les équipes qui traitent les demandes d’asile pour réduire les délais. L’Organisation de secours des réfugiés d’Afghanistan, basée à Sao Paulo, a déploré le fait que le Brésil réponde à cette «tragédie humanitaire» en exigeant des visas. «Le trafic (de personnes) doit être combattu et les personnes en situation de vulnérabilité doivent être accueillies et non traitées comme des criminels», juge l’association.
En décembre 2018, le Brésil avait signé à Marrakech le pacte mondial des migrations de l’ONU, qui jetait les bases d’une coopération internationale pour une «migration sûre, ordonnée et régulière». Mais en arrivant au pouvoir le mois suivant, le président Bolsonaro avait retiré son pays de l’accord. Son successeur Lula a renoué avec le pacte en 2023. Le Brésil est un pays d’émigration, avec 2 millions de ressortissants installés aux Etats-Unis et 700 000 au Portugal, mais aussi d’immigration, avec l’accueil en quelques années de 500 000 Vénézuéliens.