«Une politicienne typique. Rien que des mots, pas d’action.» Fin septembre 2016, lors d’un débat télévisé mémorable, Donald Trump étrille sa rivale démocrate d’alors, Hillary Clinton, qu’il battra dans les urnes quelques semaines plus tard à la surprise générale. Aux Américains qui l’envoient dans le Bureau ovale, le magnat de l’immobilier promet d’être un doer, pas un talker. Un homme d’action, et non un fanfaron. Jamais, pourtant, le poids et la responsabilité de la fonction n’auront raison de son principal trait de personnalité : Trump est un hâbleur. Il adore parler, de tout, de rien, et surtout de lui-même. Il ment énormément, mais dit aussi, parfois, la vérité.
Galerie de portraits
La vérité, cette fois-ci, prend la forme d’un enregistrement audio, diffusé la nuit dernière par la chaîne CNN. Et elle pourrait lui coûter très cher, tant les mots de Donald Trump sonnent comme des aveux involontaires – mais en or massif – pour l’équipe de Jack Smith, le procureur indépendant chargé de piloter deux enquêtes fédérales visant l’ancien président, sur les archives classifiées de la Maison Blanche emportées dans sa résidence de Floride, et sur son rôle dans l’insurrection de ses supporteurs contre le Capitole, le 6 janvier 2021.
Désinvolture
L’enregistrement concerne la première affaire, qui a valu à Trump, début juin, une inculpation fédérale inédite pour un président des Etats-Unis. Sur les 37 chefs d’accusation, qui pourraient le conduire en prison pour des années, 31 portent sur des infractions au «Espionage Act» de 1917 et ciblent autant de mises en péril de la sécurité nationale. Lors de sa comparution à Miami le 13 juin, le candidat à la présidentielle de 2024 a plaidé «non coupable», et dénoncé comme à son habitude une «chasse aux sorcières» en forme de «persécution politique».
En juillet 2021 pourtant, alors qu’il a quitté la Maison Blanche depuis six mois déjà et qu’il reçoit, dans son club de golf du New Jersey, deux personnes travaillant sur les mémoires de son ancien chef de cabinet, Donald Trump se vante d’avoir en sa possession «une grosse pile de papiers», dont les plans secrets d’une attaque préparée par le Pentagone contre l’Iran. Le contenu de cette conversation et l’existence d’un enregistrement audio étaient déjà connus, l’acte d’accusation rendu public le 9 juin y faisait référence et l’on pressentait déjà que le tout constituait un élément à charge crucial pour Jack Smith. Mais sa diffusion inédite, lundi 26 juin dans la soirée par CNN, accentue un peu plus l’impression de désinvolture laissée par l’ex-président.
The Trump audio:
— Kaitlan Collins (@kaitlancollins) June 27, 2023
"See as president I could have declassified it. Now I can't, you know, but this is still a secret."
"Now we have a problem," a staffer responds. pic.twitter.com/ftNqOTnfZn
L’extrait démarre par un court dialogue entre Trump et l’une de ses collaboratrices, qui n’est pas identifiée. Les deux font référence au général Mark Milley, chef d’état-major des armées. Six jours avant cette rencontre, le New Yorker a publié un article évoquant les inquiétudes de Milley, qui aurait redouté que Trump attaque l’Iran lors des derniers jours de sa présidence. Des insinuations qui, à l’époque, rendent furieux le président et son camp.
A ses interlocuteurs, Trump assure que c’est le général Milley qui voulait attaquer l’Iran, documents à l’appui. «Il a dit que je voulais attaquer l’Iran. N’est-ce pas incroyable ? J’ai une grosse pile de papiers», dit-il d’abord. Le bruit suggère ensuite qu’il cherche une feuille spécifique dans un tas de documents. «Regardez. C’était lui. Ils m’ont présenté ça. C’est off the record, mais ils m’ont présenté ça. C’était lui. C’est le département de la Défense et lui.»
«Sauf que c’est hautement confidentiel»
«Waouh», répond simplement son interlocuteur, visiblement interloqué. Et Trump enchaîne, en continuant à feuilleter des pages : «Ce n’est pas moi qui ai fait ça, c’est lui. Plein de trucs, sur des pages et des pages. […] N’est-ce pas incroyable ? Cela me donne totalement gain de cause, sauf que c’est hautement confidentiel, lâche-t-il, déclenchant l’hilarité. Ce sont des informations secrètes. Regardez ça […] Ceci a été fait par l’armée et m’a été remis.»
Hors micro, on devine qu’un des interlocuteurs demande à consulter, voire récupérer l’un des documents. En découle ce bref dialogue entre Trump et sa collaboratrice, qui constituera sans doute un pilier de l’accusation :
Trump : «Je pense qu’on peut, probablement, n’est-ce pas ?»
Sa collaboratrice : «Je ne sais pas, nous, nous devrons voir. Ouais, nous devrons essayer de…»
Trump : «le déclassifier […] Vous voyez, en tant que président j’aurais pu le déclassifier.»
Sa collaboratrice : «Ouais.» (rires)
Trump : «Maintenant, je ne peux plus, vous savez, mais cela reste un secret.»
Sa collaboratrice : «Ouais. Maintenant nous avons un problème.»
Un problème qui pourrait valoir à Donald Trump, grandissime favori de la primaire républicaine pour la présidentielle de 2024, une fin de vie derrière les barreaux. D’autant que les casseroles ne manquent pas. Après une première inculpation fin mars à New York dans l’affaire du deal financier avec l’ex-star du porno Stormy Daniels, puis à Miami en juin dans celle des archives classifiées, c’est à Atlanta – dont la procureure Fani Willis doit se prononcer cet été – puis à Washington, où Jack Smith investigue sa responsabilité dans l’assaut du Capitole, que le président déchu et candidat pourrait à nouveau être convoqué et arrêté au cours des prochains mois.