Ils en étaient certains. Depuis une semaine, ils exultaient et se disaient sur le départ. Prêts à enfin quitter les cellules où ils purgeaient les peines reçues pour leurs actions, parfois extrêmement violentes, lors de l’attaque du Capitole il y a quatre ans, le 6 janvier 2021, perçue comme une attaque contre le sanctuaire de la démocratie américaine. Devant le centre de détention de Washington DC, où une trentaine d’entre eux étaient incarcérés, leurs proches répétaient chaque soir, lors d’une veillée incantatoire, avoir une «confiance aveugle» en Donald Trump, être persuadés que ce qu’ils considéraient comme une «injustice» ou une «perversion de la justice» allait être réparé dès le retour du républicain à la Maison Blanche. Ils avaient raison d’être optimistes. Lundi 20 janvier au soir, quelques heures à peine après avoir été investi 47e président des Etats-Unis, et tout juste assis sur le fauteuil du Bureau ovale, Donald Trump a confirmé avoir accordé sa grâce présidentielle à la plupart des émeutiers, «les otages de J6», comme il les avait baptisés.
La grâce est d’une ampleur exceptionnelle puisqu’elle concerne l’ensemble des personnes condamnées pour participation à l’assaut du Capitole, à l’exception de quatorze d’entre eux, dont la peine est commuée en période de prison déjà purgée. Il s’agit de membres des mouvements d’extrême droite durs Oath Keepers et Proud Boys, dont le fondateur des Oath Keepers, Stewart Rhodes, avait été condamné à dix-huit ans de prison. Tous les autres, y compris l’ancien chef des Proud Boys Enrique Tarrio, condamné en septembre 2023 à vingt-deux ans de prison, soit la plus lourde peine prononcée pour l’assaut contre le Capitole, ont reçu une grâce intégrale. Le décret annule également les poursuites encore en cours contre quelques centaines de personnes et, de facto, signe sans doute la fin définitive à l’enquête tentaculaire sur les événements du 6 janvier 2021.
«Nos rues»
Ce mardi, Enrique Tarrio devait retrouver ses proches à Miami, sa ville natale, après avoir été libéré de sa prison en Louisiane, a indiqué son entourage. Le leader des Proud Boys, mouvement antiféministe mué en milice dure d’extrême droite, avait été accusé d’avoir – avec les Oath Keepers, composés de militaires et policiers actifs ou retraités – joué un rôle moteur dans l’assaut lancé contre le Capitole par une foule de trumpistes, déterminés à empêcher la certification de l’élection présidentielle, perdue deux mois plus tôt par leur champion.
Lundi, pendant les cérémonies d’inauguration, des membres des Proud Boys, souvent habillés de tenues paramilitaires, ont fièrement défilé dans les rues désertes de Washington, en beuglant «Quelles rues ? Nos rues !» et en brandissant des bannières clamant «Les Proud Boys n’ont rien fait de mal». Un signal clair de leur sentiment d’impunité, maintenant que «leur» président est revenu à la Maison Blanche.
Au cours des émeutes du Capitole, une insurgée avait été tuée par un tir d’un policier. Un officier de police avait succombé à deux attaques liées en partie au stress de l’attaque et trois autres personnes étaient mortes des suites de leurs blessures reçues au cours de l’assaut. Quatre policiers se sont, dans les mois suivants, suicidés, des drames liés par la justice au traumatisme de la journée.
Le nouveau président a signé lundi soir avec emphase ce décret présidentiel, un parmi la centaine paraphés dans la journée, accordant la grâce présidentielle aux insurgés. «C’est pour le 6 janvier, pour les otages, environ 1 500 personnes qui seront complètement graciées», a-t-il déclaré. «Cette proclamation met fin à une grave injustice nationale infligée au peuple américain au cours des quatre dernières années et commence un processus de réconciliation nationale», est-il écrit dans le texte officiel du décret, publié par la Maison Blanche.
«Les juges ont été impitoyables»
«Nous espérons bien qu’ils sortiront cette nuit», avait précisé Donald Trump en répétant que les insurgés du Capitole avaient «été traités très injustement». «Les juges ont été absolument impitoyables. Les procureurs aussi.» Immédiatement après la signature, des soutiens des insurgés incarcérés à Washington DC se sont précipités devant le centre de détention, situé dans l’est de la capitale.
En fin de soirée, alors que le froid devenait vraiment polaire, les portes de la prison restaient encore fermement closes. Un père et ses deux filles, qui n’ont pas voulu donner leur identité, piétinent devant le bâtiment de brique rouge, lourdement éclairé par les projecteurs. Originaires de l’Indiana, ils étaient présents au Capitole le 6 janvier 2021. Ils sont revenus à Washington ce 20 janvier pour l’investiture de «leur président», et avaient même des tickets pour la cérémonie. Le transfert de la prestation de serment à l’intérieur du Capitole a bouleversé leurs plans. Ils ont passé finalement quatorze heures devant la prison, à piétiner dans le froid, «pour apporter notre soutien aux otages» : il fait -11 degrés quand on les y croise. «Mais ces heures à se geler, ce n’est rien par rapport à ce qu’eux vivent à l’intérieur», expliquent-ils en mordant dans une part de pizza rapidement refroidie.
A lire aussi
Alors que les heures filent et que rien ne se passe, une certaine agitation s’empare des supporteurs qui, devant les caméras et micros des journalistes présents en nombre, se désolent du fait que le Bureau des prisons, en charge de l’administration des détenus, semble «désobéir à la consigne du pardon». L’un d’entre eux explique avoir appris que Jake Lang, incarcéré à quelques mètres d’eux, aurait été «attaqué» et menotté par des gardiens de la prison.
«Insulte au système judiciaire»
Et puis, peu après 23 heures, un mouvement, un brouhaha ébranle la foule. Un homme en costume cravate et écharpe rouge autour du cou s’avance devant les micros et se présente comme un officier de liaison de la Maison Blanche. Il annonce solennellement que, «en conformité avec le décret présidentiel signé ce lundi par le président Trump», deux détenus s’apprêtent à sortir de la prison. Applaudissement, sifflements, c’est la fête.
A peine la grâce officiellement signée, l’ex-présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a réagi avec consternation. Présente au Capitole le 6 janvier 2021, elle s’est indignée dans un communiqué contre une «insulte au système judiciaire» américain et a accusé le nouveau président républicain de s’être ainsi rendu coupable «d’abandon et de trahison des policiers qui ont risqué leur vie pour arrêter une tentative de subversion du transfert de pouvoirs».
Mise à jour : mardi 21 janvier à 14 heures avec des précisions et éléments sur les Proud Boys et les Oath Keepers