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Donald Trump quémande de l’argent aux fans de cryptomonnaie, souvent aussi conspirationnistes que lui

L’ancien président américain a lancé ce lundi une plateforme au concept douteux destinée à remplir son portefeuille et financer sa campagne, en tentant de séduire ses adeptes, des libertariens hostiles à l’Etat.
Donald Trump, à la conférence Bitcoin 2024, à Nashville (Tennessee), le 27 juillet 2024. (Jon Cherry/Getty Images. AFP)
publié le 18 septembre 2024 à 9h00

Donald Trump a annoncé ce lundi 18 septembre 2024 le lancement d’une nouvelle plateforme de cryptomonnaie, World Liberty Financial. Dès le premier jour, même les analystes les plus favorables aux cryptos conviennent à demi-mot que le concept a des relents d’arnaque. Il est notamment prévu que les fondateurs mettent en vente des «jetons de gouvernance», pseudo-actions, qui servent à échapper aux réglementations. Ce qui est relativement courant dans l’univers de la crypto. Ce qui l’est moins, c’est que 30 % seulement de ces jetons sont mis en vente, la famille Trump empochant gratuitement les 70 % restants. Alors que généralement, les fondateurs n’en gardent que 20 à 30 %. Les documents fournis sur le fonctionnement de la plateforme ne lassent pas d’inquiéter y compris des supporteurs de Trump parmi les plus impliqués dans les cryptos.

Avant même son lancement, le projet a connu de multiples couacs. Lara et Tiffany Trump, respectivement belle-fille et fille du candidat républicain, ont posté début septembre sur X (anciennement Twitter) un lien vers un site pirate hébergé dans les Caraïbes prétendant être le vrai site World Liberty Financial. Quelques heures plus tard, après des démentis, elles ont affirmé que leurs comptes X avaient été hackés.

Ce n’est pas la première incursion de la famille Trump dans le domaine : en juin, était lancé le DJT, un jeton virtuel censé représenter le candidat républicain. Il était lancé pour le compte de Barron Trump (l’un des fils de Donald) par Martin Shkreli, l’un des hommes d’affaires les plus détestés d’Amérique, connu pour avoir augmenté de 5 000 % un médicament pour les malades du sida, après en avoir acheté l’exclusivité des droits. Un mois plus tard, la valeur du Token DJT tombait à zéro.

D’abord anticrypto, Trump a retourné sa veste

Aujourd’hui, politiquement, Trump courtise largement le secteur des cryptomonnaies. Ce qui n’a pas toujours été le cas. En 2019, il déclarait encore «ne pas être fan du Bitcoin et des cryptos, très volatiles et basés sur du vent».

En 2021, il réitérerait, en déclarant même que «le Bitcoin paraît juste être une arnaque».

Mais fin 2022, Trump commence à percevoir l’intérêt personnel que représente pour lui le marché des cryptos, en refourguant à ses adeptes une série d’images NFT (images virtuelles basées sur une blockchain) le représentant en superhéros, et grappillant quelques millions de dollars au passage. En mai 2024, Trump parle à la convention libertarienne et déclare vouloir «que le futur du Bitcoin se fasse aux Etats-Unis, pas à l’étranger». Il réitère le 28 juillet à la conférence Bitcoin de Nashville. A cette occasion, il brosse largement ses auditeurs dans le sens du poil : «Vous avez un QI très élevé.» Affirmant également sa volonté de limoger Gary Gensler de la tête de la SEC (l’autorité de régulation des marchés financiers, bête noire des Bitcoiners).

Cerise sur le gâteau, il proclame vouloir créer un «stock» national de bitcoins. La déclaration rencontre un vif succès parmi les adeptes des cryptos : ces derniers sont par principe contre l’Etat, sauf quand il achète leurs actifs et fait monter les cours. Même si la conclusion du discours de Trump a été moins appréciée par son auditoire : «Passez un bon moment avec vos bitcoins et vos cryptomonnaies, et tout ce avec quoi vous jouez

La volte-face de Trump quant à l’industrie des cryptos a probablement deux raisons principales. Tout d’abord, courtiser des électeurs potentiels. Ceux-ci seraient au nombre de 52 millions, soit 20 % des Américains adultes selon un sondage financé par l’industrie crypto, mais plus probablement moins de 18 millions (7 % seulement de la population adulte) selon une étude de la Réserve fédérale, chiffre en baisse constante depuis 2021.

Mais plutôt que ses électeurs, Trump cherche probablement à bénéficier de l’argent du secteur. Soit pour sa propre poche, comme il cherche à le faire avec le lancement de World Liberty Financial. Mais également pour financer sa campagne. A ce jour, l’industrie crypto a levé plus de 174 millions de dollars (environ 156 millions d’euros) pour défendre ses intérêts par les lobbies du secteur. Pour l’instant, environ 95 millions ont été dépensés, majoritairement (à 70 %) en faveur de candidats républicains ou contre des candidats démocrates.

La communauté crypto partage les thèses complotistes de Trump

Mais politiquement, il existe depuis longtemps une forte communauté de vues entre les adeptes des cryptomonnaies et de nombreux membres du Parti républicain. Les principaux milliardaires pro crypto, Elon Musk, Peter Thiel, Marc Andreessen et Ben Horowitz ont tous largement financé la campagne de JD Vance, le colistier de Trump. En particulier Thiel, milliardaire libertarien d’extrême droite, a déboursé 15 millions de dollars. Ses idées sont proches du fascisme : selon lui, le capitalisme est même incompatible avec la démocratie. Cameron Winklevoss, cofondateur de la plate-forme Gemini, et Jesse Powell, cofondateur de Kraken, contribuent pour leur part à la campagne de Trump. Pour tous ces acteurs, la Réserve fédérale (banque centrale américaine) représente «l’Etat profond» (Deep State) qu’il faut abattre, un des outils pour le faire étant le Bitcoin. Ce qui rentre en résonance avec le discours de Trump.

Selon David Golumbia (décédé en 2023), auteur de l’ouvrage de référence The Politics of Bitcoin, le secteur des cryptomonnaies s’inspire clairement du conspirationnisme d’extrême droite, notamment la John Birch Society, mouvement conspirationniste et antisémite selon lequel la Réserve fédérale américaine fut inventée dans les années 30 pour confisquer leur argent aux Américains. Autres inspirateurs majeurs, les économistes de l’école autrichienne, généralement très à droite (leur représentant le plus éminent, Friedrich Hayek, soutenait Pinochet).

David Golumbia explique que toute une frange de la communauté Bitcoin est totalement complotiste, persuadée notamment que la banque centrale manipule la monnaie pour le compte de juifs (représentés notamment par la banque Rotshild) et de «communistes» (catégorie dans laquelle figure selon eux le prix Nobel d’économie Paul Krugman). Selon David Golumbia, le Bitcoin a popularisé auprès de cette communauté des concepts considérés auparavant comme d’extrême droite. Pour eux, par exemple, le mot «Liberté» signifie seulement «absence de régulation par une entité démocratique». Et lorsqu’il est question de «limiter le pouvoir», il s’agit uniquement de celui du gouvernement, pas de celui des milliardaires. Ces complotistes anti «Etat profond» sont parfaitement alignés politiquement avec le discours d’un Trump.