Historique, le tout premier procès pénal d’un ex-président des Etats-Unis l’était déjà avant d’accoucher, jeudi 30 mai, d’une condamnation criminelle inédite de Donald Trump. Ce dernier renverse un peu plus encore tous standards et normes établis, d’autant qu’il se trouve être aussi candidat pour la troisième fois consécutive à la Maison Blanche. Après plus de six semaines de débats ultra-médiatisés, et une douzaine d’heures de délibérations depuis mercredi 29 mai, les douze New-Yorkais composant le jury ont déclaré Trump coupable de l’ensemble des 34 chefs d’accusation dont il était inculpé : des falsifications comptables, visant alors à couvrir la tentative illicite d’influencer une élection présidentielle.
Revue de presse
A quelques semaines de la fin de sa campagne 2016, sa première, déjà bousculée par une succession de scandales, le camp Trump avait alors acheté le silence d’une ancienne star du X, Stormy Daniels, qui s’apprêtait à rendre publique la rencontre sexuelle adultère qu’ils auraient consommée dix ans plus tôt. Le deal avait coûté 130 000 dollars (120 000 euros aujourd’hui), avancés par l’avocat Michael Cohen à quelques jours seulement du scrutin remporté face à Hillary Clinton. Les 34 chefs d’accusation portaient sur autant de traces écrites mensongères du remboursement dont Cohen avait bénéficié l’année suivante de la part de Trump, alors déguisés en frais d’avocat : des factures, des entrées de registres et des chèques, ces derniers étant la plupart signés de la main du Président lui-même. L’équipe du procureur Alvin Bragg a su convaincre les douze jurés, à l’unanimité et au-delà du doute raisonnable, que ces arrangements comptables avaient alors servi à maquiller l’intention de commettre un ou plusieurs crimes : un pacte conspiratif visant à tromper les électeurs, un réseau de contributions illicites à une campagne électorale, ou encore une infraction fiscale.
«Un homme très innocent»
Comme les révélations de Daniels avaient menacé d’ébranler la candidature trumpienne à l’époque, le verdict historique rendu huit ans plus tard par les jurés contre Trump plonge l’actuelle course à la Maison Blanche dans un scénario inédit, où nul ne peut encore préjuger des effets de cette condamnation historique. Dans sa première réaction fulminante à la sortie de la salle d’audience, le tout frais condamné Trump a dénoncé «un jour de honte, un procès truqué par un juge corrompu.» «Le vrai verdict sera rendu le 5 novembre par les citoyens», date du scrutin présidentiel, selon celui qui se présente comme «un homme très innocent, se battant pour notre pays, pour notre Constitution». Sans en avancer la moindre preuve, il a une nouvelle fois accusé «l’administration Biden» d’être à la manœuvre derrière son procès, bien que la justice new-yorkaise soit totalement indépendante de l’Etat fédéral.
«Notre travail consiste à suivre les faits sans crainte ni faveur, et c’est ce que nous avons fait ici. J’ai fait mon boulot. Nous avons fait notre boulot», a déclaré lors d’une brève conférence de presse le procureur Alvin Bragg, à l’origine de l’inculpation de Trump, qui jouait sa réputation sur cette affaire longtemps décriée. «Beaucoup de voix s’expriment, a-t-il sobrement poursuivi, mais «la seule voix qui compte est celle du jury, et le jury a parlé». La décision de la peine sanctionnant Donald Trump revient à présent au juge Juan Merchan, et sera prononcée lors d’une audience fixée au 11 juillet – à quatre jours à peine de l’ouverture de la convention nationale du parti républicain, censée confirmer l’investiture de Trump. Devançant même le verdict, ses avocats avaient déjà annoncé leur intention de faire appel.
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Au terme de leurs trois heures d’ultimes plaidoiries, mardi 28 mai, les avocats de la défense avaient demandé un acquittement «vite fait, bien fait» de leur client hors normes, en plaidant «que toute campagne est une conspiration» et que Michael Cohen, devenu un contempteur acharné de Trump et le témoin-phare de l’affaire, était «le plus gros menteur de tous les temps». S’en étaient suivies cinq heures de réquisitoire de l’accusation, emmené par le procureur Joshua Steinglass, qui a rétorqué avec «une montagne de preuves et témoignages concordants qui connectent l’accusé au crime, de David Pecker [ex-patron de presse tabloïd, ndlr] et Hope Hicks [la fidèle directrice de la communication de la campagne de Trump, puis à la Maison Blanche], jusqu’à ses propres employés et leurs documents, ses propres tweets, ses discours de campagne et ses mots fixés par un enregistrement» ou encore l’aveu d’un remboursement à Cohen, écrit noir sur blanc en bas de page d’une déclaration légale de conflits d’intérêts émise par Trump en 2018. Les jurés leur ont donné raison, mais le poids historique de leur décision ne devrait pas empêcher Donald Trump de poursuivre sa campagne revancharde en cours contre Joe Biden.
Prison, sursis, travaux d’intérêt général ?
En effet, sa condamnation, pas plus qu’une éventuelle et encore hypothétique incarcération, ne lui interdit légalement de demeurer candidat à la Maison Blanche, et l’essentiel du parti républicain semble faire corps derrière lui, dans une remise en question outrancière de la légitimité du jugement. La peine qui attend désormais Donald Trump est laissée à l’appréciation du juge Merchan, qui pourra prendre en compte des facteurs allant des antécédents judiciaires à l’expression de remords (à ce jour inexistante) pour prononcer jusque quatre ans de prison par chef d’accusation (en principe non cumulables). A moins que le magistrat n’opte pour une alternative assortie d’amendes, comme une peine conditionnelle, un sursis avec mise à l’épreuve, voire d’improbables travaux d’intérêt général.
L’application du verdict devrait quoi qu’il en soit demeurer gelée jusqu’au jugement de l’appel de la condamnation, attendu sous six à douze mois, et qui n’a donc presque aucune chance d’intervenir avant que les électeurs ne se prononcent en novembre. D’ici-là, rien ne devrait plus entraver Donald Trump dans sa campagne pour les convaincre de le renvoyer à Washington plutôt qu’en prison (sa peine ne pourrait être exécutée en cas de nouveau mandat présidentiel), en candidat enfin libéré de son obligation de pointer quasi quotidiennement au tribunal, mais lesté désormais d’une aura de repris de justice, condamné à l’unanimité, par un jury composé de douze simples citoyens américains.