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Libération
Décryptage

Elections aux Etats-Unis : cerné par les affaires judiciaires, Donald Trump joue la montre

Inculpé dans quatre affaires pénales et frappé de deux amendes civiles faramineuses, le candidat républicain tente de gagner du temps pour empêcher la tenue d’un procès avant l’élection présidentielle du 5 novembre.
L'ancien président et candidat républicain à la présidentielle Donald Trump, lors d'un rassemblement à Greensboro (Caroline du Nord), le 2 mars 2024. (Ryan Collerd /AFP)
publié le 5 mars 2024 à 7h30

A Donald Trump, qui rêve de conquérir le 5 novembre un nouveau mandat de président des Etats-Unis, tout semble sourire sur le plan politique. Avant même le Super Tuesday de ce mardi 5 mars, le milliardaire d’extrême droite a écrabouillé la concurrence, désormais réduite à la seule Nikki Haley, et fonce vers l’investiture républicaine. Face à un Joe Biden fragile et impopulaire, il est donné vainqueur par la plupart des sondages réalisés au niveau national. Mais une menace plane sur sa campagne, qui va assurément accaparer son temps pendant les semaines à venir : ses multiples déboires avec la justice.

Récapitulons. Avant Donald Trump, jamais un ancien président des Etats-Unis n’avait été ne serait-ce qu’inculpé par la justice. Lui est déjà visé par quatre inculpations, pour un total de 91 chefs d’accusation. L’affaire la plus explosive concerne l’assaut du Capitole, le 6 janvier 2021, par la foule de ses partisans qui contestaient la victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle, et vaut à l’homme d’affaires de 77 ans d’être poursuivi notamment pour «complot à l’encontre de l’Etat américain». Donald Trump a aussi été mis en examen dans l’Etat de Géorgie pour ses tentatives présumées illicites d’inverser le résultat de ce même scrutin présidentiel de 2020, notamment en pressant le secrétaire d’Etat de ce territoire du sud-est de lui «trouver» les voix manquantes à sa victoire.

Invective et victimisation

Dans l’Etat de New York, le candidat républicain est inculpé pour avoir inscrit comme «frais juridiques», dans ses comptes de campagne de 2016, le versement à l’actrice pornographique Stormy Daniels d’une somme de 130 000 dollars (environ 120 000 euros) destinée à acheter son silence à propos d’une relation sexuelle qu’elle aurait eue avec lui. Et la dernière inculpation concerne l’affaire dite des archives de la Maison Blanche, dans laquelle il est accusé d’avoir mis en péril la sécurité nationale en conservant des documents confidentiels après la fin de son mandat.

Il convient d’ajouter à cette énumération les deux amendes faramineuses que la justice a infligées à Donald Trump ces dernières semaines. La première (83 millions de dollars) résulte d’une plainte pour diffamation émanant de l’autrice Elizabeth Jean Carroll qui l’accuse de l’avoir violée en 1996. L’autre, la plus massive (350 millions de dollars, plus des intérêts), porte sur des «pratiques commerciales trompeuses» et «une énorme fraude» par le biais de ses entreprises. Un coup sévère au portefeuille, mais aussi une mauvaise publicité pour un candidat qui a toujours cherché à se présenter en businessman au succès florissant. Selon la loi en vigueur dans l’Etat de New York, où l’affaire est jugée, le septuagénaire doit verser sous forme de caution une partie importante de la somme en jeu s’il souhaite faire appel. Mais, bien qu’il s’en vante, nul ne sait si l’intéressé, dont la fortune est essentiellement immobilière, dispose de l’argent liquide nécessaire pour un tel dépôt.

Aux accusations diverses et variées, Donald Trump répond invariablement par l’invective et la victimisation. «Chasse aux sorcières», «ingérence dans l’élection», se défend-il. Le 25 mars, un procès pénal aura lieu à New York dans l’affaire Stormy Daniels, et ce sera une première historique pour un ancien président américain. Mais ses avocats s’efforcent de faire en sorte que ce soit le seul avant l’élection présidentielle. «Donald Trump et son équipe ont compris que leur meilleur atout, c’est le temps judiciaire, qui est beaucoup plus long que le temps politique. C’est pour cela qu’ils font appel de chaque décision, négocient tous les détails et traînent des pieds pour se rendre à chaque convocation», explique Françoise Coste, historienne à l’université Toulouse Jean-Jaurès et spécialiste de la droite américaine.

Cadeau de la Cour suprême

Plutôt que le coût politique d’un procès, qui risque surtout de «nourrir sa rhétorique populiste» auprès d’une base qui le soutient de manière inconditionnelle, c’est plutôt l’hypothèse d’une peine d’inéligibilité qui inquiète le camp républicain, selon la chercheuse. A cet égard, le conservateur a revendiqué lundi une «grande victoire» après que la Cour suprême a annulé la décision de la justice du Colorado qui l’avait déclaré inéligible dans le cadre de sa primaire.

Dans l’affaire des archives de la Maison Blanche, un procès est programmé au 20 mai, mais la juge a laissé entendre qu’il serait probablement repoussé – sans préciser à quelle date. Et dans celle de l’assaut du Capitole, la Cour suprême, dont trois des neuf juges ont été nommés par Donald Trump lui-même, a fait un cadeau au candidat républicain en acceptant le 28 février de se saisir de la question de l’immunité pénale sans limite dont il se prévaut en sa qualité d’ancien chef de l’Etat. De quoi repousser de plusieurs mois la perspective d’un procès, sans doute jusqu’à l’élection présidentielle, au terme de laquelle, s’il est élu, il pourra aisément enterrer les poursuites fédérales qui le visent, et se draper dans l’immunité présidentielle pour échapper aux autres poursuites. Pratique.