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Libération
Seconde Guerre mondiale

En Argentine, des caisses de champagne renfermaient des documents nazis

Les autorités ont découvert par hasard, au sous-sol de la Cour suprême à Buenos Aires, des milliers de documents saisis par les douanes en 1941. Ils pourraient renseigner les historiens sur l’étendue de l’influence nazie dans le pays pendant la guerre.
Les documents avaient été saisis en 1941 après l'interception d'une cargaison envoyée depuis le Japon, allié militaire du IIIe Reich. (Corte Suprema de Justicia de la Republica Argentina/Reuters)
publié le 13 mai 2025 à 7h09

Le sous-sol de la Cour suprême de Buenos Aires, à quelques dizaines de mètres de la plaza de la República dominée par le célèbre obélisque, est un labyrinthe où s’entassent les archives de la justice fédérale argentine. Des milliers de feuilles de papier en tous genres, qui peuvent réserver des surprises. A l’occasion de travaux de rénovation préalables à l’ouverture d’un musée de la Cour suprême, des fonctionnaires judiciaires viennent ainsi de découvrir douze grandes caisses de champagne en bois oubliées là depuis plus de quatre-vingts ans.

A l’intérieur, selon les informations révélées dimanche 11 mai par le quotidien national Clarín, des centaines de documents relatifs au nazisme en Argentine, sur lesquels vont désormais se pencher les historiens. Du matériel de propagande consacré à «la diffusion des idées d’Adolf Hitler», des carnets issus de la section extérieure du parti nazi, des passeports, des cartes de membres…

L’histoire remonte à l’été 1941, au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Le 20 juin, les douaniers argentins interceptent une cargaison envoyée depuis le Japon, allié militaire du IIIe Reich, à bord du navire Nana Maru. Officiellement, elle contient des «objets personnels» à destination du personnel de l’ambassade d’Allemagne à Buenos Aires. Mais les services des frontières décident de s’en saisir, inquiets que les colis ne contiennent des éléments susceptibles de contrevenir à la politique de neutralité annoncée au début de la guerre par le président Roberto Marcelino Ortiz.

«Propagande antidémocratique»

«Le contenu de la cargaison consiste en grande partie en du matériel de propagande antidémocratique et nuisible aux nations avec lesquelles la république argentine entretient des relations normales», avait alors plaidé le député Raúl Damonte Taborda, membre d’une commission législative sur les «activités anti-argentines». Le gouvernement s’était finalement opposé à la saisie, et l’affaire avait été portée par les députés devant les tribunaux, jusqu’à la Cour suprême où avaient été entreposés les fameux colis, en l’attente d’une décision jamais prononcée.

La découverte du sous-sol de la Cour suprême pourrait permettre aux universitaires de mieux appréhender la propagation du nazisme en Argentine au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il est connu que des milliers de nazis ont trouvé refuge dans le pays d’Amérique latine après la capitulation allemande en 1945 – dont les plus célèbres sont Adolf Eichmann, capturé à Buenos Aires en 1960, et Josef Mengele.

Mais l’idéologie du parti d’Adolf Hitler s’est en fait diffusée en Argentine dès les années 1930, du fait notamment de la présence sur place d’une forte diaspora allemande. En avril 1938, un meeting de soutien au IIIe Reich avait réuni plus de 20 000 personnes au Luna Park de Buenos Aires. «Le plus grand rassemblement nazi jamais organisé en dehors d’Allemagne», selon Clarín. A l’époque, quelque 12 000 Argentins avaient leur carte à la branche nationale du parti nazi.

Etroite surveillance

Par un drôle de hasard du calendrier, la trouvaille intervient quelques semaines après l’annonce de la déclassification d’une série d’archives relatives à l’installation de nazis dans le pays après 1945, promise fin mars par le président argentin, Javier Milei. Celles-là portent notamment sur «des opérations bancaires et financières» dont les responsables du régime ont pu bénéficier pour échapper à la justice internationale. Mais l’annonce présidentielle a été jugée démagogue par des associations de droits humains, car le dirigeant d’extrême droite, l’année dernière, a procédé à une série de coupes budgétaires mettant en péril les politiques mémorielles de l’Etat.

Les nouveaux documents – ceux de la Cour suprême – ont été ouverts ce vendredi, en présence notamment de représentants du musée de l’Holocauste et du président de l’organe judiciaire, Horacio Rosatti. Il faudra désormais du temps, sans doute plusieurs semaines, pour que les historiens enquêtent sur l’abondance de ressources soudain mise à leur disposition, évaluent leur teneur et déterminent si elles contiennent des informations d’envergure. En attendant, les documents ont été déplacés du sous-sol au quatrième étage du palais de justice, et placés sous étroite surveillance.