«Voyez, ici», naguère, «on ramassait pastèques, melons, poivrons», se remémore Perla Bazan, désignant d’un geste ample l’étendue désormais en friche, cernée de clôtures barbelées et livrée à un va-et-vient de camions, où ne poussent plus guère à présent que des rangées de cylindres couleur rouille : cette muraille d’acier déjà fané qu’érige, pan par pan, l’Etat du Texas, non loin des berges du Rio Grande. Sur l’autre rive, c’est le Mexique. Il fait, ce 8 janvier, un froid rare dans le sud du Texas, et Perla frisonne dans son épais manteau de laine rouge et noire. Elle a toujours vécu là, dans le hameau alentour, depuis sa naissance en cette vallée frontalière, il y a soixante et un ans. Son père et ses oncles ont sué sur cette parcelle et, avant eux, trois générations de leurs aïeux, de ces Américains d’origine mexicaine qui n’ont pas tant passé la frontière qu’été passés par elle, au gré de l’expansion des Etats-Unis.
Aujourd’hui, cette employée d’une compagnie d’assurance locale se dit exaspérée d’entendre des migrants traverser la nuit les terrains vides qui encadrent sa maison, ou d’être réveillée par le vrombissement d’hélicoptères des gardes-frontières juste au-dessus de son toit. Alors, en lieu et place des anciens potagers, elle n’attend que de voir sortir de terre, bientôt, un centre de rétention pour sans-papiers. Les 560 hectares du vieux ranch ont en effet été acquis par le gouvernement du Texas et promis fin novembre à la future administration Trump