Le principal opposant de droite au gouvernement bolivien, Luis Fernando Camacho, a passé le nouvel an en prison. Arrêté le 28 décembre, le gouverneur du département de Santa Cruz, 43 ans, a été transféré dans le pénitencier de Chonchocoro, une prison de haute sécurité à 30 km de la capitale, La Paz. Sur décision d’un juge, il devra y passer quatre mois de détention préventive, le temps d’instruire les accusations portées contre lui : «terrorisme» et «coup d’Etat» contre l’ex-président de gauche, Evo Morales.
La nouvelle de son emprisonnement a déclenché dès mercredi de violentes manifestations dans son fief de Santa Cruz, ville la plus peuplée et moteur économique de la Bolivie. Des bâtiments publics ont été incendiés (le bureau du procureur régional et ses archives sont partis en fumée), et la maison d’un ministre détruite. Au moins quatre civils ont été arrêtés après des affrontements.
Pressions de la police et de l’armée
C’est un nouvel épisode de la crise déclenchée par la réélection contestée d’Evo Morales le 20 octobre 2019. Après la proclamation de sa victoire de justesse dès le premier tour, l’opposition lui reprochait d’avoir truqué le résultat afin de s’éterniser au pouvoir (il était président depuis 2005) au mépris de la Constitution. Confronté aux manifestations de rue et à la pression de la police et de l’armée qui lui «recommandaient» fermement de démissionner, Evo Morales a quitté le pays le 10 novembre 2019 en laissant le pouvoir vacant. Il a trouvé refuge au Mexique, puis en Argentine.
Dans une confusion totale, après les défections en cascade des successeurs possibles (vice-président, présidents de l’Assemblée et du Congrès), c’est la seconde vice-présidente du Sénat, Jeanine Añez, qui a assumé la présidence par intérim, le temps d’organiser un nouveau scrutin. Celui-ci est intervenu un an plus tard, en raison des restrictions sanitaires. Il consacre le retour du Mouvement vers le socialisme (MAS), le parti d’Evo Morales, avec son candidat, Luis Arce. Sa victoire a permis le retour d’exil d’Evo Morales, qui s’est retiré de la vie publique. Il est aujourd’hui président d’Atlético Palmaflor, club de première division de football.
Le changement de gouvernement s’accompagne d’une offensive judiciaire : Jeanine Añez et divers responsables militaires et policiers sont arrêtés en 2021 et condamnés le 10 juin 2022 à des peines comprises entre deux et dix ans de réclusion pour «terrorisme» et «coup d’Etat», la justice estimant que l’éviction d’Evo Morales relevait d’un complot planifié avant même la tenue de l’élection présidentielle.
Profil
Parmi les accusés, seul Luis Fernando Camacho était encore en liberté. En octobre 2019, il avait pris la tête de la contestation à Santa Cruz et encouragé les manifestations, souvent violentes. Mais il s’est défendu d’avoir fomenté un putsch, préférant parler d’une rébellion populaire contre Morales. Il dirige la deuxième force politique d’opposition au Parlement, la coalition Creemos.
La toile de fond est le vieil antagonisme entre les deux Bolivie, avec à l’ouest les kollas (indigènes), et à l’est les cambas (blancs et métis). Les premiers parlent en majorité quechua ou aymara et résident dans la région andine, pauvre, rurale et peu industrialisée. Les seconds s’expriment en castillan et vivent dans la partie tropicale du pays, au climat moins rude et plus propice aux activités économiques. Le sentiment de supériorité raciale des cambas sur les kollas est une constante.
«Pandémie centraliste»
Pendant un an et demi, les autorités ont renoncé à appliquer le mandat d’arrêt contre le gouverneur de Santa Cruz, qui se croyait intouchable dans son fief et multipliait les rodomontades sur le ton de «qu’ils viennent me chercher». Mais ces derniers mois, les relations entre la région et le pouvoir se sont encore tendues. En octobre et novembre, Luis Fernando Camacho était à la manœuvre lors d’une «grève civique» qui a paralysé son département pendant trente-six jours. Il réclamait l’organisation anticipée du recensement de la population, fixé à 2024, afin d’obtenir davantage de subventions.
Mardi, il publiait sur sa chaîne YouTube un message incendiaire. En demandant au MAS «de respecter [le] mode de vie camba», il affirmait qu’il se consacrerait en 2023 à la «voie fédérale», antidote à la «pandémie centraliste», et à l’exigence d’une plus vaste autonomie pour la région qu’il dirige. Des mots qui riment avec «séparatisme», une partie grandissante de la Bolivie riche et blanche rêvant d’indépendance. Le lendemain, un commando de la police barrait la route à son 4X4, brisait les vitres à coups de crosse pour inonder le véhicule de gaz lacrymo et emportait l’ennemi politique menotté vers un aéroport.