Le repos aura été de courte durée pour les élus de l’opposition de droite. Depuis plusieurs mois, la volonté du président de gauche d’organiser un référendum sur la réforme du travail leur fait passer des nuits blanches. Avec l’adoption (contre toute attente) de ladite réforme par le Congrès vendredi 20 juin, Gustavo Petro est logiquement revenu sur cette idée devenue obsolète. Un soulagement pour les partis du centre et de la droite qui y voyaient une manœuvre bonapartiste pour saper l’autorité du Parlement via le plébiscite populaire.
Ils n’auront pas eu le temps de souffler bien longtemps. A peine le décret de la consultation abrogé de sa main, Petro est revenu à la charge avec une idée qui va encore plus loin, dans la même logique : la convocation d’une assemblée constituante. Un projet qu’il entend désormais soumettre au vote des électeurs en parallèle des prochaines élections législatives de mars 2026 et qui promet de relancer des débats enflammés. La semaine passée s’était pourtant conclue sur un épisode de compromis politique, un fait devenu rare en Colombie.
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Conclusion inespérée
Mardi 17 juin, trois mois après avoir rejeté une première fois le projet présidentiel de réforme du travail, les sénateurs ont finalement approuvé la grande majorité des mesures du texte. Une conclusion inespérée alors que gouvernement et opposition s’étaient enfoncés dans une confrontation larvée et stérile sur le sujet.
Mais les sénateurs de gauche sont parvenus à des compromis avec les principales formations du centre, et même avec la droite sur certaines mesures. Le texte a ensuite été adopté par les deux chambres du Congrès réunies en séance plénière vendredi 20 juin.
La soixantaine de mesures redonne de nombreux avantages aux travailleurs, comme la majoration des horaires de nuit, du travail dominical ou la reconnaissance d’un contrat de travail pour les employés du secteur domestique. L’opposition a critiqué une réforme qui risque de rendre l’embauche encore plus coûteuse alors que la Colombie a déjà l’un des taux de chômage les plus élevés du sous-continent (8.8%) bien qu’il soit en recul. D’autres observateurs rappellent que ces avancées ne s’appliqueront qu’à une minorité, le travail non déclaré représentant 56% des emplois en Colombie.
Mais cette réforme du travail constitue avant tout un succès politique majeur pour Gustavo Petro, l’une des rares promesses de campagne enfin honorée, après la réforme du système de retraite en juin 2024. A un an de la fin de son mandat, le dirigeant colombien veut profiter de cette dynamique. La réforme du système de santé, mise en échec par l’opposition de droite au Congrès en 2023, est toujours dans les tuyaux.
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Le dirigeant colombien sait que la suite de son programme sera tout aussi difficile à faire voter par le Congrès. Elu sur la promesse d’une politique de gauche radicale et assumée mais sans majorité au Congrès, l’ex-guérillero a vu l’opposition parlementaire de droite faire obstacle à tous ses projets de loi.
Le «peuple» contre les institutions
Pour surmonter ce blocage permanent, l’idée de Gustavo Petro est donc de redonner plus de poids à la participation citoyenne. Il veut proposer aux électeurs un deuxième bulletin de vote, en parallèle des prochaines élections législatives en mars 2026, pour qu’ils se prononcent sur la convocation d’une assemblée constituante. Cette future assemblée serait chargée de concevoir une constitution où le référendum aurait plus de place. «Le peuple a vu en direct ceux qui sont avec lui, ceux qui le giflent et le condamnent, ceux qui lui interdisent de parler, maintenant que le savoir populaire doit s’exprimer là où le peuple est roi, dans les urnes», a-t-il justifié au moment d’annoncer son projet sur X vendredi 20 juin.
Mais, à présenter «le peuple» comme fondement de sa légitimité contre le Parlement, Petro prête le flanc aux critiques de ses opposants. Dans un éditorial du 22 juin, la directrice du quotidien conservateur El Colombiano, Luz Maria Sierra, pointe les similitudes entre son projet et la dérive autoritaire chaviste. La droite agite déjà régulièrement l’épouvantail du Venezuela voisin, qui sombre dans l’autoritarisme, et prête au président l’intention de modifier la Constitution pour supprimer l’interdiction de briguer un second mandat.
Même parmi ses alliés, l’entreprise laisse sceptique. Le président de la chambre des députés, Jaime Raúl Salamanca, issu du parti Alianza Verde (centre gauche) et soutien habituel du gouvernement, a accueilli très froidement l’idée de Petro. «J’ai soutenu les réformes, mais je ne soutiens PAS la proposition d’une assemblée constituante. Ce n’est pas le moment», a-t-il réagi sur son compte X.
Un pari risqué et une mise en place encore floue
Le Pacte historique, coalition de Gustavo Petro, semble devoir faire cavalier seul sur ce projet, qui n’a en réalité que très peu de chances de voir le jour. «La Constitution est claire : la convocation d’une assemblée constituante doit passer par le Congrès», a rappelé Efrain Cepeda, président du Sénat et contempteur notoire de Petro. Partant de là, il semble très improbable que le parti présidentiel obtienne à lui seul la majorité dans les deux chambres.
Mais la faisabilité du projet n’est peut-être pas la priorité du Président. A travers son idée de consultation populaire comme d’assemblée constituante, Gustavo Petro semble surtout vouloir remobiliser sa base après des mois de conflit institutionnel stérile.
Le problème, c’est que ce soutien est loin de lui être aussi large que ses propos le laissent penser. Si les sondages sont à prendre avec des pincettes, l’institut Invamer donnait seulement 37% d’opinion favorable à Petro fin avril. L’opposition l’attaque sur tous les fronts, organisant plusieurs manifestations massives contre sa politique, l’accuse presque chaque semaine de dérives autoritaires et lui reproche une approche laxiste face à la guérilla de l’Armée de libération nationale qui n’a pas déposé les armes. Cette volonté, envers et contre tous de s’en remettre «au peuple» semble surtout une tentative de susciter à nouveau l’adhésion populaire, après un mandat laborieux.