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Libération
Sans ménagement

En Equateur, la vice-présidente Verónica Abad flanquée à la porte par le chef de l’Etat

Après l’avoir envoyée dans des missions fumeuses à l’étranger, le président conservateur Daniel Noboa a évincé, lundi 11 novembre, son ex-colistière. Objectif : l’empêcher de diriger le pays par intérim, alors que lui-même doit se mettre en retrait avant la campagne pour sa réélection.
Le président conservateur Daniel Noboa et la vice-présidente Verónica Abade à Quito, en Equateur, en novembre 2023. (Rodrigo Buendia/AFP)
publié le 12 novembre 2024 à 18h30

En octobre 2023, Daniel Noboa était élu président de l’Equateur à la surprise générale, en promettant de mener la guerre aux cartels de la drogue devenus tout-puissants. Un an plus tard, son bilan dans la lutte contre le crime organisé est mince : son pays est le plus dangereux d’Amérique latine, avec 43 homicides pour 100 000 habitants. Le seul combat qu’il a remporté est celui qui l’oppose à sa propre vice-présidente, Verónica Abad, qu’il a évincée de son poste lundi 11 novembre, après l’avoir envoyée en «mission» diplomatique en Israël puis en Turquie. Un décret présidentiel a nommé à sa place la ministre de la Planification, Sariha Moya.

La raison de cette disgrâce : Noboa est candidat à sa réélection, le 9 février 2025. Et la Constitution l’oblige à suspendre ses activités et à passer les rênes du pouvoir à la vice-présidente pendant quarante-cinq jours, le temps de la campagne. Inimaginable, vu les relations exécrables au sein du binôme exécutif.

Un assassinat dix jours avant le premier tour

La brouille avait commencé avant même l’élection. Daniel Noboa, fils d’un magnat de la banane et héritier d’une immense fortune, avait battu la candidate de gauche Luisa González, soutenue par l’ancien président Rafael Correa, exilé en Belgique après une condamnation pour corruption. Dix jours avant le premier tour, l’assassinat du candidat centriste Fernando Villavicencio avait bouleversé le pays et bénéficié à ce candidat peu expérimenté, affiché à droite mais jeune, à 36 ans, et perçu comme porteur de renouveau.

Entre les deux tours, la mésentente entre Noboa et Verónica Abad, au profil très conservateur, est patente : ils se contredisent puis s’ignorent. Quand la vice-candidate soutient de son propre chef, sur les réseaux sociaux, le futur président argentin Javier Milei, la rupture est consommée. Abad assiste à la cérémonie de passation de pouvoir, mais le nouvel élu ne l’invite pas à la réception au palais Carondelet, siège de la présidence à Quito. Pour s’ériger en Cendrillon, elle avait posté des images où elle cassait la croûte au même moment avec les vendeuses d’un marché de la capitale.

Des positions rétrogrades sur le rôle des femmes

Ça commençait fort pour ce mandat réduit à seize mois : il s’agissait de finir celui entamé par Guillermo Lasso et interrompu par une dissolution. Le lendemain de son intronisation, Daniel Noboa nommait la vice-présidente ambassadrice en Israël et «médiatrice» pour la paix au Proche-Orient, un intitulé qui fait sourire quand on connaît le poids diplomatique modeste de l’Equateur. L’intention du chef de l’Etat était clairement de se débarrasser d’Abad, sous le prétexte que ses positions rétrogrades, sur le rôle des femmes notamment, nuisent à l’image de son gouvernement. Le président expliquera plus tard, non sans goujaterie, qu’il aurait aussi bien pu envoyer son ennemie «en mission dans l’Antarctique».

L’Equateur se retrouve alors dans l’ubuesque situation d’un président à Quito et une vice-présidente à Tel Aviv, où il lui est interdit de s’exprimer publiquement sur la vie politique de son pays. Pendant ce temps, les pressions et les intimidations ne cessent pas. Des poursuites sont lancées contre son fils aîné puis sa fille pour «trafic d’influence». En juin, le Parlement équatorien a refusé à une courte majorité de lever son immunité, une mesure demandée par le parquet dans l’affaire concernant son fils. Elle finit par dénoncer dans des interviews la «persécution» dont elle est victime, et dont le but est selon elle de la forcer à démissionner.

En août, elle dépose une plainte contre Noboa et trois ministres pour «violence politique», un délit réprimé en Equateur. La riposte est un nouveau bannissement, cette fois vers la Turquie, où Verónica Abad est priée de poursuivre son travail pour la paix dans la région. Le prétexte est d’assurer sa sécurité, mais le reste du personnel de l‘ambassade est maintenu en Israël.

«Abandon de poste injustifié»

C’est son arrivée tardive à Istanbul, cinq jours après la date fixée sur la feuille de route, qui motive le dernier épisode, son éviction de la vice-présidence. Elle se voit infliger par le ministère du Travail une sanction administrative de cinq mois pour «abandon de poste injustifié pendant trois jours ouvrés ou plus». Au terme de laquelle un nouvel exécutif sera en place.

Le Président a donc les mains libres pour affronter une nouvelle campagne électorale et tenter de rester quatre ans supplémentaires à Carondelet. Il sera opposé le 9 février, comme en 2023, à Luisa Gonzalez, que les premiers sondages placent en tête. Il faudra aussi compter sur un outsider très à droite, Jan Topic Féraud, d’origines croate et française. Ce partisan de la main de fer contre la délinquance, inspiré par le président salvadorien Nayib Bukele, pourrait jouer le rôle de trublion qui avait si bien réussi à Daniel Noboa il y a un an.