«Ne tirez pas, s’il vous plaît, ne tirez pas !», crie une femme au milieu des coups de feu, tandis que les assaillants, munis de pistolets, fusils à pompe et certains de grenades, forcent les personnes terrorisées à se mettre au sol. Dernier et spectaculaire épisode d’une crise sécuritaire sans précédent en Equateur, des hommes armés ont fait irruption mardi après-midi sur le plateau d’une télévision publique à Guayaquil (sud-ouest), prenant brièvement en otage journalistes et autres employés de la chaîne.
Terrorismo en Ecuador. Pasa a este hora en el canal de TV @tctelevision están en vivo en Guayaquil, hombres encapuchados se metieron a las instalaciones tienen armas. Están en vivo pic.twitter.com/6zH6MKAATx
— Andrea Bernal (@andrebernal26) January 9, 2024
Encagoulés, sous des capuches ou en casquettes à visage à découvert, plusieurs se filment et font avec les doigts des deux mains les habituels signes de reconnaissance des bandes criminelles liées au narcotrafic qui font régner la terreur en Equateur. «Ils sont entrés pour nous tuer, mon Dieu protégez-nous», a envoyé à un correspondant de l’AFP, dans un message WhatsApp, l’un des journalistes captifs. Au milieu des coups de feu, la diffusion de ces images surréalistes s’est poursuivie en direct pendant de longues minutes, malgré l’extinction des lumières sur le plateau et la caméra qui se fige. Jusqu’à apparemment l’intervention des forces de l’ordre aux cris de «Police ! Police !».
Dans la foulée, le président de l’Equateur Daniel Noboa a déclaré son pays en état de «conflit armé interne» et ordonné la «neutralisation» des groupes criminels impliqués dans le narcotrafic, selon un décret rendu public mardi. Ce texte présidentiel reconnaît «l’existence d’un conflit armé interne» et ordonne «la mobilisation et l’intervention des forces armées et de la police nationale […] pour garantir la souveraineté et l’intégrité nationale contre le crime organisé, les organisations terroristes et les belligérants non-étatiques». Le président Noboa ordonne également la «neutralisation» de tous ces groupes criminels, dont il fournit une liste exhaustive.
Plusieurs médias d’Amérique du Sud affirment également que des groupes armés auraient fait irruption dans l’université de Guayaquil. Relayant une vidéo prise devant l’établissement, sur laquelle on aperçoit des gens courir dans le chaos et les cris, la chaîne de télévision du Panama TVN indique sur X (ex-Twitter) qu’ils tenteraient d’ «enlever des personnes».
Evasion, explosion, prise d’otage…
Ce nouvel incident retentissant est le dernier élément d’une grave crise sécuritaire dans le pays, après trois jours marqués par l’évasion d’un dangereux chef de gang, des mutineries en cascade dans les prisons, la proclamation de l’état d’urgence et l’enlèvement de policiers notamment. «Ce sont des jours extrêmement difficiles», l’exécutif ayant pris «la décision importante de lutter de front contre ces menaces terroristes», a commenté mardi le secrétaire à la communication de la présidence, Roberto Izurieta. Au moins dix personnes ont été tuées depuis le début de la crise sécuritaire dans le pays.
La crise a débuté dimanche avec la spectaculaire évasion d’Adolfo Macias, alias «Fito», 44 ans, le chef des «Choneros». Un gang d’environ 8 000 hommes, selon les experts, devenu le principal acteur du trafic de drogue florissant en Equateur.
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Souvent décrit comme l’ennemi public numéro 1, soupçonné d’être impliqué dans le retentissant assassinat de l’un des principaux candidats à la présidentielle en août 2022, l’homme s’est volatilisé d’un établissement de haute sécurité dans le vaste complexe de Guayaquil où il purgeait depuis 2011 une peine de 34 ans de privation de liberté pour crime organisé, trafic de stupéfiants et meurtre. Il s’était déjà évadé, en 2013, d’une prison de haute sécurité et avait été repris trois mois après.
Son évasion a été suivie de plusieurs mutineries et prises en otage de gardiens dans diverses prisons, le tout relayé par d’effrayantes vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrant les captifs menacés par les couteaux de détenus masqués.
Le plus jeune président de l’histoire de l’Equateur, le président Noboa, 36 ans, a décrété lundi l’état d’urgence pendant 60 jours dans l’ensemble de l’Equateur. L’armée est ainsi autorisée à assurer le maintien de l’ordre dans les rues (avec un couvre-feu nocturne) et les prisons. Avec manifestement peu d’effets jusqu’à présent : sept policiers ont été enlevés dans la nuit de lundi à mardi. Des explosions ont également été signalées dans une attaque contre un commissariat de police, le domicile du président de la Cour nationale et des véhicules ont été incendiés. La presse locale a évoqué une «nuit de terreur» et un «Etat failli».
Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre trois des policiers enlevés contraints, sous la menace d’armes de poing, de lire un message adressé au chef de l’Etat : «Vous avez déclaré la guerre, vous allez avoir la guerre […]. Vous avez déclaré l’état d’urgence, nous déclarons la police, les civils et les militaires butins de guerre».
«Nous ne négocierons pas»
Nouvelle humiliation mardi, les autorités ont annoncé l’évasion d’un autre narcotrafiquant, Fabricio Colon Pico, l’un des chefs de Los Lobos, une bande criminelle rivale des Choneros. Il avait été arrêté vendredi pour le délit d’enlèvement et sa responsabilité présumée dans un complot visant à assassiner le procureur général. Le gouvernement a déploré un «niveau d’infiltration» des groupes criminels au sein de l’Etat «très élevé» et qualifié le système pénitentiaire équatorien d’«échec». «Nous ne négocierons pas avec les terroristes et on ne s’arrêtera pas tant que nous n’aurons pas rendu la paix à tous les Equatoriens», a insisté lundi le président Noboa.
Dès dimanche, des policiers et des soldats ont pénétré lourdement armés dans plusieurs prisons, notamment où des gardiens ont été séquestrés. Les forces de sécurité ont diffusé de spectaculaires images de ces interventions, montrant des centaines de détenus en sous-vêtements, mains sur la tête et allongés sans ménagement sur le sol. L’administration pénitentiaire (SNAI) a affirmé que personne n’avait été blessé à la suite de ces «incidents».
Ces images rappellent en tout point la communication du président salvadorien Nayib Bukele, crédité d’avoir rétabli, grâce à sa «guerre» contre les gangs, la sécurité dans son pays, au prix cependant d’une restriction des droits des prisonniers selon les organisations des droits de l’Homme.
Autrefois un havre de paix, l’Equateur est devenu un centre logistique pour l’expédition de cocaïne vers les Etats-Unis et l’Europe. Le pays est aujourd’hui ravagé par la violence des gangs et des narcotrafiquants. Le nombre des homicides a augmenté de près de 800 % entre 2018 et 2023, passant de 6 à 46 pour 100 000 habitants. Les prisons, surpeuplées et comptant plus de 31 000 détenus, connaissent des massacres récurrents entre bandes rivales, au moins douze depuis février 2021 qui ont fait plus de 460 morts parmi les détenus.
Mise à jour mercredi 10 janvier à 09h02 : bilan des personnes tuées depuis le début de la crise.