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Libération
«Filibuster»

Contre Trump, le démocrate américain Cory Booker bat le record du plus long discours prononcé au Congrès

Le sénateur du New Jersey a tenté dès lundi 31 mars au soir de perturber le fonctionnement du Sénat en monopolisant la parole. Dans la nuit de mardi à mercredi, après plus de vingt-cinq heures au pupitre, il est entré dans l’histoire en devenant l’auteur de la plus longue intervention jamais faite au Parlement des Etats-Unis.
Le sénateur Cory Booker lundi 1er avril 2025 au Sénat américain. (Senate Television/AP)
publié le 1er avril 2025 à 17h00
(mis à jour le 2 avril 2025 à 2h07)

Cory Booker ne pourra pas, seul, résister à la tempête trumpienne qui déferle depuis un peu plus de deux mois sur les Etats-Unis – et le reste du monde. Mais il est assuré que le nom de ce sénateur démocrate du New Jersey sera sur toutes les lèvres, dans tous les journaux, sur tous les plateaux de télévision américains ce mercredi. Dans la nuit de mardi 1er à mercredi 2 avril, après plus de vingt-quatre heures et vingt minutes de discours au Congrès, sous les applaudissements nourris des élus et du public, il a brisé le record de la plus longue prise de parole dans la Chambre haute, qui tenait depuis 1957.

Dès lundi 31 mars à 19 heures (1 heure du matin mardi à Paris), Cory Booker, armé de sa seule parole, utilisée pour protester contre la politique «inconstitutionnelle» de Donald Trump, a donc pris le Sénat d’assaut. «Je me lève avec l’intention de perturber les activités normales du Sénat des Etats-Unis aussi longtemps que j’en serai physiquement capable. Je me lève ce soir parce que je crois sincèrement que notre pays est en crise», a déclaré lundi l’élu démocrate pour commencer sa très longue plaidoirie.

Plus de vingt-cinq heures plus tard, Cory Booker était toujours debout, le teint relativement frais mais la voix brisée, veste noire sur les épaules et cravate parfaitement nouée, à faire les cent pas sur scène tout en critiquant les actions et les déclarations du locataire du Bureau ovale. Ses collègues démocrates l’aidaient à tenir en lui posant des pseudo-questions à rallonge afin de lui permettre de souffler.

Il a finalement rendu les armes à 20h06 heure locale (02h06 à Paris), au terme d’une intervention de vingt-cinq heures et six minutes.

«En seulement soixante et onze jours, le président des Etats-Unis a infligé tant de dégâts à la sécurité et à la stabilité financière des Américains, aux fondements mêmes de notre démocratie», avait déclaré Cory Booker au début de son intervention, lundi. «Ce ne sont pas des temps normaux aux Etats-Unis, avait-il ajouté visiblement ému, et ils ne devraient pas être traités comme tels.»

Mardi matin, le démocrate avait évoqué ses craintes que Donald Trump ne sape ou ne démantèle la Sécurité sociale américaine : «Je vous le dis, je vais me battre pour votre Sécurité sociale, je vais me battre pour protéger cette agence, je vais me battre contre des coupes budgétaires inutiles qui nuisent au service qu’elle fournit.»

Impossible de s’asseoir

Si Cory Booker s’est lancé dans une telle opération, c’est que le règlement intérieur de la Chambre haute du Congrès permet à n’importe quel sénateur de monopoliser la parole, à condition de rester debout en discourant, sans prendre de pause.

Rendue célèbre par James Stewart dans le classique de Frank Capra Monsieur Smith au Sénat en 1939, la tactique est surnommée «filibuster», mot dérivé du néerlandais vrijbuiter, qui a donné «flibustier» en français : elle équivaut à un piratage des débats. Toutefois, même si le marathon de cet ancien joueur de football américain a sérieusement perturbé les activités du Sénat, son discours ne représente pas une tentative d’obstruction proprement dite, car aucune loi n’est en cours de vote.

Les règles du filibuster sont strictes : impossible de s’asseoir ou de prendre une pause pour les besoins naturels. Le seul répit permis est celui de la voix, puisqu’un autre sénateur peut prendre la parole pour poser une question – parfois elle-même très longue – à l’élu debout au pupitre.

Le record du plus long discours était jusqu’à présent détenu par le sénateur de Caroline du Sud Strom Thurmond, en 1957, qui défendait la ségrégation raciale. Pour s’opposer au Civil Rights Act, il avait tenu vingt-quatre heures et dix-huit minutes en déclamant notamment De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville ou le discours d’adieu de George Washington. La loi, historique, était passée malgré tout. En 2013, le sénateur républicain Ted Cruz avait quant à lui parlé plus de vingt et une heures pour contester la réforme du système de santé de Barack Obama.

Mise à jour dans la nuit de mardi 1er à mercredi 2 avril à 2 h 06 lorsque Cory Booker a finalement quitté le pupitre.