Infrastructures bloquées, hôpitaux attaqués, arrivée de nourriture menacée : la situation se dégrade depuis ce week-end dans la capitale haïtienne Port-au-Prince, prise dans de violents affrontements entre police et bandes armées. «Les habitants de la capitale vivent enfermés, ils n’ont nulle part où aller», a alerté samedi Philippe Branchat, le chef pour Haïti de l’Organisation internationale pour les migrations (IOM), rattachée à l’ONU, décrivant «une ville en état de siège». «Les gens qui fuient ne parviennent pas à contacter les membres de leur famille et amis qui sont dans le reste du pays pour pouvoir trouver refuge. La capitale est encerclée de groupes armés et de dangers», a-t-il ajouté. L’accès aux soins est fortement compromis, avec «des hôpitaux qui ont été attaqués par des gangs et qui ont dû évacuer personnel médical et patients, y compris des nouveau-nés», selon l’IOM.
Reportage
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken doit se rendre ce lundi en Jamaïque pour une réunion d’urgence de la Communauté des Caraïbes (Caricom) sur la crise. Il va discuter des efforts visant notamment à «mettre en place rapidement une transition politique en Haïti via la création d’un collège présidentiel indépendant», a déclaré le porte-parole Matthew Miller.
Départs en masse
L’armée américaine avait précisé tôt ce dimanche matin avoir pris des mesures «pour augmenter la sécurité de l’ambassade américaine à Port-au-Prince, permettre la continuité des missions de l’ambassade, et rendre possible au personnel non essentiel de partir». «Ce transport aérien de personnel à destination et en provenance de l’ambassade est conforme à nos pratiques habituelles», a ajouté le communiqué de l’armée américaine.
Dans la soirée, le ministère allemand des Affaires étrangères a annoncé le départ dimanche de son ambassadeur en Haïti, avec d’autres représentants de l’Union européenne. «En raison de la situation sécuritaire très tendue […], l’ambassadeur d’Allemagne et le représentant permanent à Port-au-Prince sont partis aujourd’hui pour la République dominicaine avec des représentants de la délégation de l’UE», a déclaré un porte-parole du ministère, ajoutant qu’ils travailleraient depuis la République dominicaine «jusqu’à nouvel ordre».
Ce lundi, l’Union européenne confirme avoir évacué l’ensemble de son personnel, faisant part de son «extrême inquiétude» face à la détérioration de la situation sécuritaire. «En réponse à la détérioration dramatique de la situation sécuritaire, nous avons décidé de réduire nos activités sur le terrain et nous avons déplacé le personnel de la délégation de l’UE à Port-au-Prince vers un endroit plus sûr à l’extérieur du pays […]. Actuellement nous avons évacué tout le personnel de l’UE d’Haïti», a fait savoir Peter Stano, porte-parole du chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell.
Le palais national présidentiel pris pour cible
Les bandes criminelles, qui contrôlent la majeure partie de la capitale ainsi que les routes menant au reste du territoire, s’en prennent depuis plusieurs jours aux commissariats, prisons et tribunaux, en l’absence du Premier ministre Ariel Henry, dont elles réclament la démission tout comme une partie de la population. Celui-ci est, selon les dernières nouvelles, bloqué dans le territoire américain de Porto Rico après un voyage à l’étranger.
Face aux violences, des dizaines d’habitants ont investi samedi les locaux d’une administration publique à Port-au-Prince, espérant y trouver refuge, selon un correspondant de l’AFP. Selon l’IOM, 362 000 personnes - dont plus de la moitié sont des enfants - sont actuellement déplacées en Haïti, un chiffre qui a bondi de 15 % depuis le début de l’année.
Vendredi soir, des hommes armés avaient attaqué le palais national présidentiel et le commissariat de Port-au-Prince, a confirmé à l’AFP le coordonnateur général du Syndicat national de policiers haïtiens (Synapoha). Plusieurs assaillants ont été tués, selon la même source.
Le gouvernement haïtien a décrété l’état d’urgence dans le département de l’Ouest qui comprend Port-au-Prince, ainsi qu’un couvre-feu nocturne, difficilement applicable par des forces de l’ordre déjà dépassées. Les administrations et écoles sont fermées, l’aéroport et le port ne fonctionnent plus. Le directeur général de l’Autorité portuaire nationale (APN), Jocelin Villier, a fait état de pillages sur le port.
Reportage
L’ONG Mercy Corps a alerté sur les risques pour l’approvisionnement de la population du pays le plus pauvre des Amériques. «Avec la fermeture de l’aéroport international, le peu d’aide fournie actuellement à Haïti pourrait ne plus arriver», a prévenu l’ONG jeudi. Et «si l’on ne peut plus accéder à ces conteneurs, Haïti aura faim bientôt».
«Si la paralysie de la zone métropolitaine de Port-au-Prince se poursuit au cours des prochaines semaines, près de 3 000 femmes enceintes risquent de ne pas pouvoir accéder aux soins de santé essentiels», ont alerté dans un communiqué commun plusieurs représentants de l’ONU en Haïti. Selon eux, «près de 450 d’entre elles pourraient souffrir de complications obstétricales potentiellement mortelles sans assistance médicale qualifiée». «Trop de femmes et de jeunes femmes en Haïti sont victimes de la violence aveugle commise par les gangs armés», a commenté la coordinatrice humanitaire de l’ONU pour le pays, Ulrika Richardson, ajoutant que les Nations unies «s’engagent à continuer à leur apporter» une assistance.
Face à cette flambée de violence, la Communauté des Caraïbes (Caricom) a convié des représentants des Etats-Unis, de la France, du Canada et de l’ONU à une réunion lundi en Jamaïque.
Mise à jour : à 21 h 22, avec l’ajout du départ de l’ambassadeur allemand ; à 13 h 16 lundi avec l’annonce de l’UE.