Les plaignants attendaient ce feu vert depuis quatre ans. L’Etat canadien sera finalement jugé pour inaction climatique, après la plainte déposée en 2019 par quinze militants pour l’environnement. Selon une décision rendue publique jeudi 14 décembre au soir, la Cour d’appel fédérale a estimé qu’un procès était nécessaire, afin de déterminer si les actions du gouvernement de Justin Trudeau violaient les droits des jeunes plaignants.
«Les changements climatiques ont des conséquences dramatiques et rapides pour tous les Canadiens, en particulier pour les communautés autochtones et celles du Nord», a estimé la Cour d’appel dans sa décision. «Sans l’ombre d’un doute, le fardeau des conséquences affectera de manière disproportionnée les jeunes Canadiens», a-t-elle ajouté.
«Une première étape cruciale»
Dans leur poursuite intentée en octobre 2019, les quinze jeunes, âgés de 10 à 19 ans, accusaient le gouvernement fédéral de compromettre leur avenir en contribuant dangereusement, selon eux, au réchauffement climatique. En cause : son incapacité à mettre en œuvre un plan ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon les plaignants, les effets néfastes du dérèglement climatique se font déjà sentir au Canada, et affectent particulièrement les jeunes. Résultat : l’inaction du gouvernement violerait leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, pourtant garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.
Interview
En octobre 2020, un juge de la Cour fédérale avait d’abord rejeté leur requête, sous prétexte, détaille Radio Canada, qu’elle «ratissait trop large pour qu’un tribunal puisse légitimement s’y attaquer». Une décision donc invalidée plus de trois ans après par la Cour d’appel fédérale.
«C’est la moindre des choses d’avoir droit à un procès pour discuter de ce qui est une menace existentielle», a réagi Albert Lalonde, l’un des plaignants et militant écologiste, aujourd’hui âgé de 21 ans. Si l’étudiant en droit estime «désespérant d’avoir dû attendre quatre ans» pour obtenir ce droit à procès, il salue «une première étape cruciale dans la protection des droits des jeunes». La Fondation David Suzuki – une des organisations environnementales qui soutient les jeunes – a estimé de son côté que «cette action va au-delà du gouvernement fédéral. Cela devrait faire comprendre à toutes les provinces que l’inaction peut avoir des conséquences juridiques».
Multiplication des contentieux climatiques
De par sa proximité avec l’Arctique, le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Le pays subit aussi des évènements météorologiques extrêmes à répétition, à l’image des pluies torrentielles et des gigantesques feux de forêt qui ont encore frappé le pays cet été. Alors, forcément, «la décision [de la Cour d’appel fédérale] est porteuse d’espoir», s’est réjouie l’organisation Our Children’s Trust.
Ces dernières années, les attaques en justice se multiplient à travers le monde pour forcer les gouvernements à agir contre la crise climatique, notamment en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas. La base de données compilée par Sabin Centre for Climate Change Law de l’université de Columbia en recense plus de 2 500 – la majorité aux Etats-Unis. Dans une interview à Libération en septembre, la déléguée générale de l’association Notre affaire à tous, Jérémie Suissa, assénait : «Lorsqu’il y a un jugement en faveur de l’environnement, cela institutionnalise un constat qui n’était, jusque-là, que scientifique ou militant. C’est considérable dans un Etat de droit».