Jeff Bezos continue son entreprise de sabotage de la ligne éditoriale du Washington Post. Le milliardaire américain, propriétaire du quotidien, a annoncé un changement majeur pour la section opinion du journal, qui constitue une intrusion quasi sans précédent dans sa ligne éditoriale. Le Post devra désormais adopter dans ses pages idées une position plus marquée en faveur des «libertés personnelles» et des «marchés libres». Les opinions contraires ? Elles ne seront tout bonnement plus publiées dans les colonnes du journal.

Cette offensive du fondateur d’Amazon, hautement inhabituelle pour un quotidien de la réputation du Washington Post, s’inscrit dans un mouvement de plus grande immixtion de sa part dans les décisions du journal de référence de la capitale américaine, qu’il avait racheté en 2013. Avant l’élection présidentielle de novembre, Jeff Bezos avait notamment empêché le Washington Post d’appeler à voter pour Kamala Harris, en rupture avec la tradition américaine des recommandations de vote par les comités de rédaction. L’homme d’affaires, qui lors du premier mandat de Donald Trump s’était opposé à lui sur des contrats de défense, a opéré, à l’instar des autres patrons de la tech, un rapprochement marqué avec le républicain ces derniers mois, et était notamment présent parmi les premiers rangs à son investiture le 20 janvier.

Sa décision a provoqué le départ du responsable des pages opinion du «WaPo», David Shipley, et Jeff Bezos a annoncé que le quotidien se mettait à la recherche d’un nouveau responsable. Le responsable des pages économiques du Washington Post, Jeff Stein, a dénoncé «un empiétement massif de Jeff Bezos dans la section opinion» du journal. Et si ce chef de rubrique affirme n’avoir «pas encore ressenti d’ingérence» dans son travail de journaliste pour les pages d’information, séparées de la section opinion, il prévient : «Si Bezos tente de s’ingérer du côté des informations, je démissionnerai immédiatement et je vous le ferai savoir.»

En janvier, près de 400 membres de la rédaction avaient envoyé un courrier à Jeff Bezos pour témoigner de leurs inquiétudes pour l’avenir du journal. Le courrier faisait suite au refus de la direction de publier un dessin de la caricaturiste Ann Telnaes, prix Pulitzer du dessin de la Presse en 2001, et qui a par la suite démissionné. L’illustration représentait Bezos et d’autres milliardaires agenouillés, tendant un sac d’argent, devant une statue de Donald Trump.

Dans la missive, les salariés du journal témoignaient de leurs inquiétudes vis-à-vis des «récentes décisions de la direction qui ont conduit les lecteurs à s’interroger sur l’intégrité de cette institution, qui ont rompu avec une tradition de transparence et qui ont incité certains de nos collègues les plus éminents à partir, d’autres départs étant imminents». Des inquiétudes que cette nouvelle intervention de Bezos dans la ligne éditoriale du quotidien ne risquent pas d’apaiser.