Inexorablement, leur nombre s’effrite. En ce 80e anniversaire du Débarquement, moment de bascule héroïque et sanglant de la Seconde Guerre mondiale, seules quelques dizaines de vétérans américains ont eu la force de traverser l’Atlantique pour prendre part aux commémorations. Centenaires pour la plupart, ils ont pris place, ce jeudi midi, dans le mémorial en demi-cercle du cimetière américain de Colleville-sur-Mer, au pied de l’immense statue en bronze représentant «l’Esprit de la jeunesse américaine». Cette jeunesse qu’ils incarnaient alors, tout comme des milliers de leurs camarades qui n’ont jamais revu le sol américain.
«A l’été 1944, vous aviez 20 ans à peine, parfois moins. Vous aviez une famille, des amis, une fiancée ou une femme, parfois des enfants. Vous aviez des rêves, des projets, un avenir, énumère Emmanuel Macron, arrivé quelques minutes plus tôt en compagnie de son épouse Brigitte et du couple Biden. Vous avez tout quitté et pris tous les risques pour notre indépendance et pour notre liberté.» Ici au cimetière militaire de Colleville, octroyé aux Etats-Unis par la France et situé au sommet de la falaise dominant Omaha Beach, le président français est considéré comme un invité. Le programme de la cérémonie a été élaboré par Washington. Macron est néanmoins le premier des deux chefs d’Etat à s’exprimer, pour honorer en particulier onze vétérans américains, à qui il remet les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
Tous n’ont pas participé au Débarquement en Normandie mais tous ont combattu durant la guerre. Un à un, Emmanuel Macron les salue par leur nom, relate brièvement leur parcours. «Le monde libre avait besoin de chacun de vous et vous avez répondu présent.» Le premier à être décoré, Hilbert Margol, qui a fêté ses 100 ans fin février, se lève fébrilement de son fauteuil roulant et se dresse face aux présidents français et américain, les yeux rougis par l’émotion. Lui a débarqué à Marseille en janvier 1945, a fait route ensuite vers l’Allemagne et a fait partie des troupes américaines ayant libéré le camp de Dachau.
Vétéran de la politique
Dix autres vétérans suivent, le plus jeune a 98 ans, le plus âgé 104 ans. John Wardell. Robert Pedigo. Calvin Shiner. Edward Berthold. Dominick Critelli. Bill Casassa. Victor Chaney. Raymond Glansberg. Richard Stewart. John Kinyon. «Vous voilà à jamais chez vous sur le sol français», leur a lancé Emmanuel Macron un instant plus tôt. Il les décore, un par un, suivi par Joe Biden, qui leur remet une médaille créée pour l’occasion. Y sont gravés des soldats approchant les plages normandes, des bombardiers B-17 et le nombre 9 388, comme le nombre de pierres tombales blanches qui parsèment l’immense cimetière de Colleville-sur-Mer, baigné de soleil.
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Dernier président américain de l’histoire à avoir été vivant au moment du Débarquement (il est né en novembre 1942), Joe Biden prend ensuite la parole face à des milliers d’invités, dont les stars hollywoodiennes Steven Spielberg et Tom Hanks, au premier rang. Elu sénateur pour la première fois en novembre 1972, quelques mois après la publication de la photo de la «petite fille au Napalm» qui fit basculer le cours de la guerre du Vietnam, le vétéran de la politique américaine sait – sans forcément l’admettre – que la Seconde Guerre mondiale reste à ce jour l’ultime guerre glorieuse et juste menée par les Etats-Unis. Une guerre pour la démocratie, l’humanité et les valeurs. Suivront le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak…
«Les hommes qui ont combattu ici sont devenus des héros, non pas parce qu’ils étaient les plus forts, les plus résistants, les plus féroces, même s’ils l’étaient, mais parce qu’ils ont été chargés d’une mission audacieuse en sachant que la probabilité de mourir était réelle. Mais ils l’ont fait quand même. Ils savaient, sans l’ombre d’un doute, qu’il y a des choses pour lesquelles il vaut la peine de se battre et de mourir. La liberté en vaut la peine. La démocratie en vaut la peine. Hier, aujourd’hui et toujours», martèle un Joe Biden solennel.
«Nous ne détournerons pas le regard»
Rapidement, le président démocrate, engagé dans une campagne électorale à haut risque face à Donald Trump, sort du registre purement commémoratif, en dépeignant l’agression de l’Ukraine par la Russie comme un prolongement de la bataille pour la liberté qui a fait rage en Europe il y a huit décennies. «Hitler pensait que la démocratie était faible et que l’avenir appartenait aux dictatures», martèle-t-il, en des termes très similaires à ceux qu’il emploie régulièrement pour parler de Vladimir Poutine, dont le régime a été banni de ces commémorations. Biden livre un plaidoyer pour l’Otan, «la plus grande alliance militaire de l’histoire du monde», dont il salue sous les applaudissements les deux membres les plus récents, la Finlande et la Suède.
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«Nous savons que les forces obscures que ces héros ont combattues il y a quatre-vingts ans ne disparaissent jamais. L’agression et la cupidité, le désir de dominer et de contrôler, de modifier les frontières par la force, sont des forces vivaces. La lutte entre la dictature et la liberté est sans fin», ajoute Joe Biden, citant l’exemple «flagrant» de l’Ukraine envahie par le «tyran» Poutine. «L’isolationnisme n’était pas la réponse il y a quatre-vingts ans. Et ce n’est toujours pas la réponse aujourd’hui», dit encore le président américain, dans un tacle discret à Donald Trump et à une partie des élus républicains, hostiles à l’aide à Kyiv. «Nous ne détournerons pas le regard de l’Ukraine. Si nous détournons le regard, l’Ukraine tombera sous le joug russe, puis l’Europe entière tombera aussi. Si nous le faisions, ce serait oublier ce qu’il s’est passé sur cette plage», avertit Joe Biden.
A quelques pas de la statue de la «jeunesse américaine» à laquelle il a cessé d’appartenir il y a bien longtemps, le président démocrate, 81 ans, a conclu en exhortant sa génération et les suivantes à être «dignes» du «sacrifice» des héros de Normandie. «Soyons la génération dont on pourra dire, lorsque l’histoire sera écrite sur notre époque dans dix, vingt, trente, cinquante ou quatre-vingts ans : lorsque le moment est venu, nous avons su répondre à l’appel. Nous sommes restés forts. Nous avons sauvé la démocratie à notre tour.»