Ses parents Marta Enriqueta Pourtalé et Juan Carlos Villamayor avaient été enlevés en décembre 1976, aux premières heures de la dictature militaire argentine, et n’étaient jamais réapparus. Sa mère à l’époque était enceinte de presque neuf mois, sur le point d’accoucher. Près de cinquante ans plus tard, le fils de ce couple de militants politiques, membres de la guérilla des Montoneros (gauche péroniste), a été localisé par les Grands-mères de la Place de Mai (les «Abuelas»), a annoncé l’organisation de défense des droits de l’homme vendredi 27 décembre.
L’homme, aujourd’hui âgé de près de 50 ans, est le 138e enfant volé par la dictature de Videla à être identifié depuis la chute des militaires en 1983. Son identité n’a pas été communiquée et il ne s’est pas encore exprimé.
Récit
«La vérité finit toujours par éclater […]. C’est un grand cadeau pour nous, les vieilles femmes qui nous battons depuis tant d’années», s’est réjouie lors d’une conférence de presse Estela de Carlotto, la présidente des «Abuelas». Créée dès 1977, en pleine dictature, l’association s’acharne à retrouver les enfants retirés à leur mère après l’arrestation de celle-ci et confiés souvent à des familles proches du régime, dans ce que la justice considère comme un plan systématique de vol et d’adoption illégale. On estime leur nombre total à 500 environ.
L’association est soutenue par l’Etat à travers la Commission nationale pour le droit à l’identité (Conadi), qui avait ouvert dès 1999 une enquête visant à retrouver le fils de Marta Enriqueta Pourtalé et Juan Carlos Villamayor. Dans un entretien au quotidien argentin Página /12, Diego Villamayor Pourtalé, le frère aîné du «petit-fils n° 138», a fait part de sa «joie immense». «J’ai toujours su que j’avais un frère», a-t-il affirmé.
Marta Enriqueta Pourtalé et Juan Carlos Villamayor, âgés respectivement de 30 ans et 21 ans au moment des faits, avaient été kidnappés à leur domicile de Buenos Aires puis conduits à l’Ecole de mécanique de la Marine (Esma) de la capitale argentine. Un centre clandestin notoirement connu pour les tortures que subissaient les personnes qui y étaient incarcérées : sur les 5 000 prisonniers politiques détenus dans ce lieu pendant la dictature, seuls une centaine ont survécu, selon les organisations de droits humains. Les «Abuelas» estiment que c’est là que le «petit-fils n°138» pourrait avoir vu le jour, comme une trentaine d’autres enfants.
«Le crime le plus aberrant de la dictature»
«Maintenir en vie une femme enceinte, la soumettre aux pires humiliations jusqu’à ce qu’elle mette au monde son enfant dans des conditions inhumaines, puis voler son enfant et lui substituer son identité : c’était le crime le plus aberrant de la dictature. C’est évident à chaque restitution» d’enfant volé, a tonné devant les journalistes Estela de Carlotto, la présidente des «Abuelas».
La localisation d’un enfant volé n’avait plus été annoncée depuis septembre 2023, date à laquelle avait été communiquée la résolution de quatre cas de familles à la recherche d’enfants nés pendant la captivité de leur mère. C’est aussi une première depuis l’entrée en fonction le 10 décembre 2023 du président d’extrême droite Javier Milei, qui s’oppose à la politique «des droits de l’homme» et au travail de mémoire sur la dictature argentine. Lui et sa vice-présidente, Victoria Villarruel, proche des militaires, remettent en cause le nombre de disparus retenu par les organisations de défense des droits de l’Homme - plus de 30 000 - et agitent la théorie dite des «deux démons», qui consiste à justifier les crimes contre l’humanité commis par les militaires en les présentant comme une réponse aux attentats perpétrés par les groupes armés d’extrême gauche.
L’exécutif de Milei, ces dernières semaines, a annoncé une série de licenciements et de coupes budgétaires au sein du secrétariat des droits de l’homme, qui menacent selon les associations de mettre en péril les politiques de mémoire et de vérité. «Nous demandons que soit soutenu le travail du Secrétariat national aux droits de l’homme, un outil essentiel pour la défense de ces droits fondamentaux», a insisté la leadeuse des «Grands-mères».