C’était il y a un an presque jour pour jour : Volodymyr Zelensky déboulait en visite surprise à Washington, à la faveur de sa première sortie à l’étranger depuis le lancement de l’assaut des forces du Kremlin contre son pays, et l’on s’ébahissait alors de voir le président ukrainien circuler en héros du Bureau Ovale au perchoir du Capitole, sous les acclamations à l’unisson d’élus et responsables de deux principaux partis américains par ailleurs irréconciliables à tout autre propos ou presque. Au point que certains membres de l’administration Biden s’agacent même en coulisses qu’il faille rappeler à cet invité si conquérant d’exprimer de temps à autre sa reconnaissance pour le soutien reçu jusqu’alors.
De retour mardi 12 décembre au pied de l’arbre de Noël de la Maison Blanche, Zelensky ne présentait pas un visage moins déterminé, mais il avait les remerciements beaucoup plus faciles, à l’attention de son hôte présidentiel comme des Américains. Une inflexion à la mesure d’un accueil autrement peu amène des conservateurs et trumpistes qui ont pris entre-temps le contrôle de la Chambre des représentants. Et celui qui venait pour la troisième fois plaider en personne la nécessité de réabonder sans délai l’assistance militaire et financière des Etats-Unis à Kyiv, aujourd’hui, et jusqu’à une victoire finale contre l’invasion russe, s’est trouvé confronté à la même impasse où végète depuis des semaines le vaste plan d’investissements internationaux dans la «sécurité nationale» réclamé par Joe Biden. Une requête aux législateurs qui prévoit une enveloppe d’une soixantaine de milliards destinés à l’Ukraine, mais aussi d’importants financements pour Israël, l’aide humanitaire à Gaza, Taïwan, les stocks de munitions du Pentagone ou encore la gestion de la frontière américano-mexicaine.
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«L’histoire jugera durement ceux qui ont tourné le dos à la cause de la liberté»
«Poutine mise sur l’échec des Etats-Unis à assurer auprès de l’Ukraine» et «nous devons, devons, devons lui donner tort» a insisté le président américain. Avant de fustiger le blocage orchestré par ses adversaires politiques en notant que les relais médiatiques du Kremlin, à la télévision russe, s’en frottaient ouvertement les mains : «Si vous êtes célébré par des propagandistes russes, il pourrait bien être temps de vous remettre en question. L’histoire jugera durement ceux qui ont tourné le dos à la cause de la liberté. Aujourd’hui, c’est la liberté de l’Ukraine qui est en jeu. Mais si nous n’arrêtons pas Poutine, la liberté de tous, presque partout, sera en danger : Poutine continuera et les aspirants agresseurs partout dans le monde s’en trouveront encouragés à essayer de prendre ce qu’ils peuvent par la force. Je ne me détournerai pas de l’Ukraine, et le peuple américain non plus.» «Il est très important, a renchéri son invité, que, d’ici la fin de l’année, nous puissions envoyer un signal très fort de notre unité à l’agresseur de l’unité de l’Ukraine, de l’Amérique, de l’Europe et de l’ensemble du monde libre.»
Si Zelensky n’avait de fait nul besoin de convaincre Biden que le laisser rentrer à Kyiv les mains vides serait offrir «à Poutine le plus gros cadeau de Noël possible» et que l’Amérique doit soutenir l’Ukraine «aussi longtemps qu’elle le peut», le chef d’Etat ukrainien subit à la fois une certaine lassitude de l’opinion américaine à l’endroit de son pays, l’impatience des faucons conservateurs face aux avancées trop modestes de sa contre-offensive, et surtout quelques purs calculs et coups de billard politiciens. Plusieurs figures républicaines de la Chambre et du Sénat l’avaient même annoncé en amont de sa venue : il n’y avait rien que Zelensky puisse leur dire qui soit susceptible de faire évoluer le statu quo, aussi passionné et convaincant soit-il lors de leur recontre entre quatre murs pour les convaincre des victoires acquises et à venir de son pays grâce aux quelque 111 milliards de dollars déjà alloués par les Etats-Unis.
De fait, ni les avancées majeures revendiquées en Mer noire, ni l’évaluation livrée lundi par le renseignement américain aux sénateurs de 315 000 soldats russes blessés ou tués depuis le début de la guerre en Ukraine n’ont infléchi le blocage en cours. Car c’est de Biden que les républicains réclament aujourd’hui des gages. Et non pas sur l’Ukraine, otage malgré elle de leur chantage du moment, à moins d’un an de la prochaine présidentielle, mais les questions d’immigration aux Etats-Unis, exigeant non seulement la mobilisation de moyens conséquents mais un net virage des politiques en la matière, du durcissement drastique du droit d’asile à la poursuite de l’édification du mur voulu par Trump.
Un dénouement «presque impossible» avant la fin de l’année
Même parmi les soutiens de Kyiv les plus fervents et poutinophobes dans les rangs conservateurs au Sénat, s’exprimait mardi un mélange de fatalisme et de défiance vis-à-vis de l’exécutif. Leader de la minorité républicaine, Mitch McConnell a suggéré que le «seul moyen de parvenir à un accord est que [Biden] s’implique» personnellement dans les discussions pour y lâcher du lest. Le même Mitt Romney qui affirmait l’avant-veille: «Nous devons fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin pour se défendre, toute autre solution constituerait un énorme manquement à nos responsabilités envers nos alliés et la démocratie mondiale», assenait en marge de la rencontre avec Zelensky sa certitude que ses pairs de la chambre basse ne laisseraient rien advenir sans que la frontière soit «sécurisée au niveau existant sous les trois précédentes présidences». Avant de conclure : «Quand les gens élisent une majorité républicaine à la Chambre, il faut écouter ce qu’elle a à dire…»
Alors que Chuck Schumer, en patron des démocrates au Sénat avait appelé lundi à différer le départ des élus en congés de fin d’année dans quelques jours, afin de permettre aux discussions en cours d’aboutir, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir par le «speaker» trumpiste de la Chambre, Mike Johnson, conduisant Mitch McConnell à statuer dès lors que tout dénouement avant 2024 serait «presque impossible», quels que soient les progrès revendiqués dans les tractations entre figures de l’administration Biden et élus républicains. Celle-ci se poursuivait à huis clos au même moment où Zelensky était reçu par Biden, américain, qui n’avait à cette heure guère plus que des promesses à lui offrir.
Interrogé sur ce qu’il retenait de ses entrevues du jour, le président ukrainien a témoigné d’un optimisme pragmatique : «Si j’ai entendu ce que je veux ? J’ai entendu beaucoup de choses, c’est certain. J’ai dit ce que je voulais, et j’ai ressenti le soutien de l’administration du président Biden, des sénateurs et nous avons discuté avec le speaker. J’ai reçu le signal qu’ils étaient plus que positifs, mais nous savons qu’il faut faire la part des choses entre les mots et les résultats. Par conséquent, nous comptons sur un certain résultat.»