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Etats-Unis

Le FBI soumet ses employés au détecteur de mensonges pour tester leur loyauté envers leur boss

Le service de police et de renseignement américain enquête sur son propre camp, selon le «New York Times». Plusieurs fonctionnaires ont été contraints de passer au polygraphe pour attester de leur fidélité envers Kash Patel, nommé par Donald Trump.

Au siège du FBI, à Washington, le 16 mai. Les principaux agents d’environ 40 % des bureaux locaux, parfois critiques envers les conservateurs ou dénonçant la politisation de l'agence, ont pris leur retraite, ont été poussés vers la sortie ou ont changé d’emploi depuis le retour de Trump au pouvoir. (Anna Moneymaker/Getty Images.AFP)
Publié le 11/07/2025 à 17h07

Un scénario sorti tout droit des heures les plus sombres de la guerre froide. Certains hauts fonctionnaires du Federal Bureau of Investigation (FBI) ont été placés face au détecteur de mensonges pour savoir s’ils avaient critiqué le patron de l’agence et trumpiste convaincu, Kash Patel, selon un article du New York Times paru jeudi 10 juillet.

Pour conduire ces tests polygraphiques, le FBI a prétexté questionner ses employés quant aux récentes révélations dans la presse américaine selon lesquelles Patel avait exigé une arme de service, demande incongrue dans la mesure où il n’est pas agent. Plusieurs dizaines de personnes se sont ainsi frottées au détecteur de mensonges, sans que l’on sache précisément combien d’entre elles ont été interrogées spécifiquement sur Kash Patel. Une pratique, jugée «très inhabituelle» par le New York Times, que le FBI a refusé de commenter, faisant référence à «des questions de personnel et des délibérations internes».

«La paranoïa comme mode de gouvernance»

Cette histoire intervient dans un contexte où le FBI mène la chasse à la fuite d’informations sous la houlette de Kash Patel et de son adjoint Dan Bongino. Depuis que ces dirigeants nommés par le président Trump sont en poste, les principaux agents d’environ 40 % des bureaux locaux, parfois critiques envers les conservateurs ou dénonçant la politisation du FBI, ont pris leur retraite, ont été poussés vers la sortie ou ont changé d’emploi, selon une estimation du New York Times.

L’emprise des deux hommes sur l’agence est telle que certains des fonctionnaires les plus haut gradés sont partis de leur plein gré, par peur de représailles pour avoir mené des enquêtes légitimes sur le président Trump. Parmi eux, Michael Feinberg, agent principal du bureau de Norfolk (Virginie) jusqu’au printemps, a été menacé de passer au détecteur de mensonges pour son amitié avec Peter Strzok, un expert du contre-espionnage licencié pour de SMS moqueurs envers Donald Trump. Pour conserver son emploi, Michael Feinberg a déclaré qu’il était «censé ramper, implorer le pardon et promettre sa loyauté dans le cadre de la révolution culturelle du FBI provoquée par l’accession de Patel et Bongino». Il a démissionné avant d’avoir pu passer au détecteur. «Avec de telles pratiques, le FBI ne traque plus seulement les menaces, mais aussi les hésitations dans ses propres rangs et instaure la paranoïa comme mode de gouvernance», analyse auprès de Libération Alexandre Papaemmanuel, spécialiste du renseignement et des agences américaines.

Selon d’anciens fonctionnaires du bureau, le simple fait de critiquer Patel ou Bongino, peut coûter un emploi, dans une quête effrénée de loyauté où la tolérance à l’égard des dissidents est faible. «Avant, le FBI répondait à une logique de simple loyauté républicaine. Désormais, il y a un basculement vers une logique d’obéissance partisane. Les agents ne jurent plus fidélité à l’Etat mais à ceux qui sont à sa tête, cela fragilise la neutralité administrative du service», poursuit Alexandre Papaemmanuel.

Si d’ordinaire l’instance américaine soumet à la machine, qui mesure entre autres le stress, à des employés soupçonnés d’avoir trahi le pays, les pratiques semblent donc avoir changé depuis le retour de Trump au pouvoir. «Le FBI est un contre-pouvoir du président américain. Par logique, Trump le considère comme son ennemi et cherche à l’affaiblir», explique l’enseignant à Sciences Po Paris. En avril, le bureau avait annoncé dans un communiqué à Reuters avoir «commencé à utiliser des tests polygraphiques pour aider les enquêtes visant à identifier la source de fuites».

«Faire du FBI un musée de l’Etat profond»

Depuis sa prise de position dans l’administration Trump, Kash Patel surveille de près son image publique. En juin, le quadragénaire d’origine indienne a poursuivi Frank Figliuzzi, un ancien haut fonctionnaire du FBI, qui l’avait accusé de passer plus de temps dans les boîtes de nuit qu’à son bureau.

Membre de la commission permanente sur le renseignement de la Chambre des représentants, conseiller à la sécurité nationale ou encore chef de cabinet au Pentagone, Kash Patel a grimpé les échelons avant de devenir le neuvième directeur de l’agence. Lors de sa prise de fonction, il avait promis de «fermer le siège du FBI et [d’]en faire un musée sur l’Etat profond», théorie conspirationniste selon laquelle les bureaucrates du gouvernement œuvreraient dans l’ombre contre Donald Trump. Face à de telles déclarations, Alexandre Papaemmanuel met en garde : «Une machine administrative comme le FBI est facile à détruire, mais peut être très dure à reconstruire.»