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Amérique latine

Le Panama ne veut plus des migrants «en transit» sur son territoire

Le nouveau président José Raúl Mulino a signé un accord avec les Etats-Unis qui prévoit de rapatrier, aux frais de Washington, les milliers de clandestins provenant de Colombie après avoir traversé à pied la redoutable jungle de Darién.
Des migrants vénézuéliens arrivent dans un camp de transit après avoir traversé la jungle du Darién, le 28 juin à Lajas Blancas (Panama). (Matias Delacroix/AP)
publié le 2 juillet 2024 à 19h41

Pour son entrée en fonction, lundi 1er juillet, le nouveau président du Panama, le conservateur José Raúl Mulino, a frappé fort. Il a profité de son discours d’investiture pour annoncer que son pays ne servira plus de zone «de transit» pour les migrants qui traversent la jungle du Darién, cette forêt inhospitalière qui sépare la Colombie du Panama. Pour les ONG, c’est l’une des routes migratoires les plus dangereuses de la planète. «Nous ne pouvons pas continuer à financer le coût économique de la migration illégale», a-t-il déclaré, en référence aux clandestins en provenance d’Amérique du Sud qui tentent de se rendre aux Etats-Unis via l’Amérique centrale et le Mexique.

En parallèle au discours du Président, son administration a signé avec le secrétaire américain à la Sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, un accord qui prévoit le rapatriement à la frontière avec la Colombie des migrants qui ont traversé le Darién. Mulino avait la veille affirmé chercher des solutions avec «les pays concernés, en particulier avec les Etats-Unis, qui sont la destination finale des migrants».

«Dissuader les migrations irrégulières»

Avec cet accord, officiellement appelé «mémorandum d’entente», «les Etats-Unis soutiendront les efforts du Panama pour commencer le rapatriement rapide, sûr, et humain, de migrants qui n’ont pas de base légale pour rester au Panama», a déclaré après la signature une porte-parole du Conseil de sécurité nationale (NSC) américain. «En faisant revenir de tels individus dans leur pays d’origine, nous aiderons à dissuader les migrations irrégulières dans la région et […] à faire cesser l’enrichissement de réseaux malsains de trafic [d’êtres humains] qui exploitent des migrants vulnérables», a-t-elle ajouté.

En 2023, plus d’un demi-million de personnes ont emprunté cette route particulièrement dangereuse. Depuis le 1er janvier, près de 200 000 autres ont suivi, d’après les chiffres fournis par les services de migration de Panama. Ce sont en grande majorité des Vénézuéliens, mais on trouve aussi des Equatoriens, des Colombiens ou des Haïtiens. On a aussi signalé des réfugiés de Chine, d’Afghanistan, d’Inde ou de Somalie.

La traversée de cette forêt tropicale dense, dépourvue de routes, se faire essentiellement à pied, avec quelques transferts en pirogue (qui coûtent plusieurs centaines de dollars par individu). Il faut 15 jours à une personne en bonne santé pour parcourir 160 km, du sud au nord. Pour des familles avec des enfants, le voyage peut être beaucoup plus long. Aux nombreux dangers liés au milieu naturel (chaleur humide, insectes et reptiles, cours d’eau, ravins, sentiers escarpés) s’ajoutent les groupes criminels qui enlèvent et rançonnent les voyageurs, et les soumettent à des violences sexuelles. Cette traversée de l’enfer, de l’aveu même des migrants, est jonchée de cadavres.

Jusqu’à présent, les autorités panaméennes accueillaient les arrivants dans deux «stations temporaires de réception migratoire». Des centres de santé gérés par des ONG se trouvent à proximité. Des autobus officiels transportent les migrants capables de continuer le chemin vers la ville de Chiriquí, à la frontière du Costa Rica. Le voyage coûte 50 dollars (46,50 euros). Et l’odyssée se poursuit à travers le Nicaragua, qui impose l’achat d’un laissez-passer à 150 dollars, le Honduras, le Guatemala, le Mexique… Jusqu’à la frontière des Etats-Unis que peu des candidats atteignent.

Une justification financière et morale

Le président Mulino, dont le parti porte le joli nom de Realizando Metas, «Réaliser les objectifs», est arrivé au pouvoir par une voie détournée : il était le colistier de l’ex-président Ricardo Martinelli, invalidé en mars après la confirmation de sa condamnation à dix ans de prison pour blanchiment de capitaux. Il a échappé à l’arrestation en se réfugiant à l’ambassade du Nicaragua, qui lui reconnaît le statut de prisonnier politique. On s’attend à ce que le nouvel élu, qui a fait campagne avec un slogan sans ambiguïté de «Mulino c’est Martinelli», accorde rapidement une mesure de grâce à son mentor.

Mulino justifie le changement de politique d’accueil des migrants de passage par un coût évalué à 100 millions de dollars annuels. Il ajoute que la mobilisation d’effectifs de la police et de l’armée se fait «au détriment de la sécurité terrestre et maritime dans d’autres points du pays». Et ajoute une justification morale à sa décision : mettre fin à l’enrichissement des mafias de passeurs, car «l’argent gagné en tirant profit de la misère humaine est un argent maudit».

L’application de l’accord se heurtera à de nombreuses difficultés, à commencer par les modalités d’expulsion des dizaines de milliers d’arrivants, censés être renvoyés en Colombie. Le président colombien Gustavo Petro a assisté à l’investiture de José Raúl Mulino, avec qui il a eu une rencontre. Mais mardi 2 juillet, il n’avait toujours pas réagi officiellement à l’accord Panama-Washington, qui concerne pourtant directement son pays.