L’ancien concessionnaire des motos Yamaha aime aller vite. Le 28 février, Nayib Bukele, à la tête du Salvador (6,7 millions d’habitants) depuis 2019, avait remporté une victoire écrasante aux élections législatives : son parti Nouvelles Idées avait raflé 61 des 84 sièges du Parlement monocaméral. Les premières décisions de l’Assemblée, investie samedi, ont été la révocation des cinq juges du Tribunal constitutionnel (dépendant de la Cour suprême) et du procureur général du Salvador, tous réputés hostiles au Président. Pendant que l’opposition crie au putsch, les magistrats évincés contestent la légalité du procédé et refusent de céder leur poste aux juges désignés par la nouvelle majorité.
Nayib Bukele, qui fêtera ses 40 ans en juillet, poursuit son travail de mainmise sur les organes de pouvoir. Son coup de force a suscité l’inquiétude à l’étranger, mais peu de réactions de la population : celui qu’on surnomme «le président millennial» jouit d’une grande popularité (plus de 80 % d’opinions favorables) avec son bilan positif dans la lutte contre l’insécurité et le crime organisé, la principale préoccupation des Salvadoriens.
Confinement draconien
Le principal grief de Bukele contre les «sages» : leur remise en cause de sa gestion de la pandémie, avec un confinement draconien décidé très tôt en 2020, et l’ouverture de «camps de quarantaine» pour les récalcitrants, alors que le pays n’avait enregistré que trois cas de Covid-19. Aujourd’hui, le Salvador est l’un des pays d’Amérique latine les plus avancés dans la vaccination de la population, grâce aux piqûres de Sinovac, le vaccin envoyé par la Chine, pays avec lequel Nayib Bukele a des liens privilégiés.
Hyperactif sur les réseaux sociaux, le chef de l’Etat a publié dimanche une vidéo grandiloquente à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance qui sera célébré le 15 septembre. Le commentaire proclame : «Enfin, nous construisons une nouvelle histoire», ou «Pour la première fois, nous commençons à réaliser le rêve d’être libres et souverains». Un résumé de la doctrine bukeliste de construire la prospérité du pays de façon autoritaire en bousculant la classe politique traditionnelle discréditée par des affaires de corruption.
Les Etats-Unis ont critiqué les décisions du Parlement salvadorien. «L’existence d’une relation forte entre les Etats-Unis et le Salvador dépendra de la volonté du gouvernement du Salvador de défendre la séparation des pouvoirs et de soutenir les normes démocratiques», a affirmé sur Twitter Julie Chung, une responsable du département d’Etat. «Ce n’est pas comme ça qu’on fait les choses», a pour sa part tancé Juan Gonzalez, le conseiller du président Joe Biden pour l’Amérique latine. L’Organisation des Etats américains (OEA) a également estimé que «la cooptation du pouvoir judiciaire ne fait que conduire à une société injuste basée sur l’impunité et la persécution politique».
Il reste à Nayib Bukele trois ans de mandat pour démontrer que sa manière forte se traduit par des résultats : la relance économique post-Covid, la baisse du flux migratoire vers les Etats-Unis et la consolidation de la lutte contre le crime organisé.