«La race blanche est la seule apte à gouverner, et elle seule le fera», déclarait le général confédéré Albert Pike en 1868, peu après l’affranchissement des esclaves aux Etats-Unis. Dans les prochains jours, des travaux vont débuter pour réinstaller son effigie en bronze au beau milieu de la capitale américaine.
Le Service des parcs nationaux américain a annoncé mardi 5 août le retour du monument, qui commémore l’un des hommes qui se sont battus pour maintenir les Afro-Américains des Etats-Unis en esclavage. Les Etats confédérés, au nombre de onze dans le Sud des Etats-Unis, ont fait sécession en 1861 avant de mener une guerre sanglante contre les Etats du Nord dans le but de perpétuer un système économique et social d’exploitations d’être humains.
«Cette restauration découle de la loi sur la préservation du patrimoine historique, ainsi que des récents décrets visant à embellir la capitale et à restaurer les statues préexistantes», a déclaré un porte-parole du Service des parcs nationaux, faisant référence à des décrets présidentiels signés par Donald Trump en mars. En appliquant une pression croissante sur les agences et institutions publiques, le président américain poursuit sa bataille culturelle contre la diversité, et veut écrire sa propre version épurée de l’histoire américaine.
Mise à terre par Black Lives Matter
Juin 2020, Washington : lors d’une manifestation du mouvement Black Lives Matter, des dizaines d’activistes fixent des cordes à la statue et tirent à l’unisson. Elle chute lourdement sous les acclamations, avant d’être enflammée. L’effigie en bronze d’Albert Pike était la dernière statue confédérée de la capitale fédérale à trôner en plein air, dans le quartier de Judiciary Square. Nombre de ces monuments avaient été déboulonnés à travers le monde depuis 2015.
L’événement avait marqué Donald Trump. «La police de Washington ne fait pas son travail en regardant une statue être arrachée et brûlée. Ces personnes devraient être immédiatement arrêtées. Une honte pour notre pays !» avait tweeté l’ex (et futur) président.
Depuis les années 1980, nombre de politiciens et activistes de la ville de Washington demandaient régulièrement l’enlèvement de la statue. L’annonce de sa réinstallation a vite fait réagir les élus démocrates de la ville. «La décision d’honorer Albert Pike en réinstallant sa statue est aussi indéfendable que moralement répréhensible, a déclaré Eleanor Holmes Norton, déléguée de Washington à la Chambre des représentants. Je dis depuis longtemps que les statues confédérées devraient être exposées dans des musées comme des objets historiques, et non dans des lieux symboliques. Une statue honorant un raciste et un traître n’a pas sa place dans les rues de Washington.»
Difficile, pour les Américains, de détourner les yeux du sulfureux Pike. Après une carrière militaire sans succès où il mène des troupes issues de tribus amérindiennes au combat, le général est exclu de l’armée confédérée, accusé de corruption. Mais selon Donald Moynihan, politologue et professeur d’histoire de l’université du Michigan, ce militaire, avocat de profession, «joue un rôle de diplomate pour la Confédération, défendant l’expansion de l’esclavage comme élément légal et permanent de la société américaine». Après la guerre, il continuera son combat contre les droits des Afro-Américains et restera proche du Ku Klux Klan.
Offensive mémorielle
Par le choix de ce personnage, qui n’a pas eu de rôle historique important, «Donald Trump lie l’histoire à sa vision du monde contemporain, qui va directement à l’encontre d’une démocratie multiraciale», poursuit l’universitaire américain : «Trump réécrit aussi l’histoire récente, transformant les insurgés du 6 janvier [qui ont pris d’assaut le Capitole pour tenter de faire annuler l’élection de Joe Biden] en victimes à célébrer. Ce n’est pas un hasard si les efforts de son administration pour réécrire l’histoire ont porté sur des sujets guerriers. C’est aussi un moyen pour les régimes autoritaires d’amadouer la branche militaire.»
Depuis que le président américain a annoncé son désir de «restaurer la vérité et la raison dans l’histoire américaine», les institutions culturelles sont sous une pression intense – pour éviter la perte de leurs financements, nombre de musées se conforment au révisionnisme du président américain. Son offensive mémorielle a débuté avec deux décrets publiés en mars. Trump dénonçait alors «l’idéologie corrosive» de ses prédécesseurs qui, selon lui, aurait poussé les institutions publiques à raconter l’histoire du pays «comme intrinsèquement raciste, sexiste, oppressive», créant «un sentiment de honte nationale, au mépris des progrès réalisés par l’Amérique et ses idéaux». Dans la foulée, certains liens web du musée du cimetière militaire d’Arlington, à Washington, avaient été supprimés. Ils rendaient hommage à des Afro-Américains et des femmes ayant servi dans l’armée.
Les cibles explicites des proclamations trumpiennes sont souvent les musées. Selon l’historien américain Douglas Brinkley, le président américain n’est pourtant pas féru d’histoire : «Il réfléchissait à ce qu’il ferait pour son discours d’investiture et m’a dit qu’il ne connaissait rien à l’histoire, a-t-il raconté à la fondation Carnegie Endowment for International Peace. Normalement, lorsqu’on parle aux politiciens, ils font semblant de lire beaucoup. Lui a simplement haussé les épaules et m’a dit qu’il était un homme visuel. Pour lui, l’histoire commence avec John F. Kennedy.»
Obsession pour le Smithsonian
Donald Trump s’est notamment attaqué à une exposition du prestigieux musée Smithsonian, à Washington, intitulée «la Forme du pouvoir : histoires de race et de sculpture américaine». Dans ses panneaux explicatifs, l’institution indiquait que «la race est une invention humaine». Dans son décret de mars, le président américain affirme qu’elle est «une certitude biologique»…
Pour s’assurer que le Smithsonian s’aligne sur ses idéologies, Donald Trump a nommé son vice-président, J.D. Vance, au conseil des régents, l’organe qui administre l’institution. La pression semble porter ses fruits. Vendredi 1er août, le musée a supprimé une référence aux procédures de destitution qui avaient visé – en vain – Donald Trump en 2019 et 2021, dans une exposition consacrée à la présidence américaine. «Aucune administration ni aucun responsable gouvernemental ne nous a demandé de supprimer du contenu de l’exposition», s’est défendu le Smithsonian dans un communiqué. «Une exposition future et actualisée inclura toutes les procédures de destitution», a ajouté le musée, sans donner de date précise pour ce nouveau projet.
En tant qu’institution publique, le Smithsonian dépend de l’Etat fédéral pour le financement de plus d’un tiers de son budget, d’environ 1,25 milliard de dollars. En plus de la maintenance de ses nombreux musées, l’institution imprime chaque année des milliers de livres sur l’histoire des Etats-Unis, dont nombre sont destinés aux salles de classe du système éducatif américain.