Les Groenlandais ont porté le parti Inuit Ataqatigiit (IA), formation écologiste de gauche, en tête des élections parlementaires, ce mardi. Forte de ses 36,6% des suffrages, elle récolte douze sièges sur les 31 que compte l’Assemblée du territoire autonome danois et devrait prendre la tête du prochain gouvernement. Le parti social-démocrate Siumut, qui domine la vie politique au Groenland depuis 1979, n’arrive qu’en deuxième position, à 24,9% des voix. Les élections se sont transformées en référendum sur l’exploitation des mines d’uranium et de terres rares (expression qui désigne un groupe de métaux qui servent notamment dans la fabrication des téléphones et ordinateurs), dont la compagnie australienne Greenland Minerals, financée par une firme d’Etat chinoise, a obtenu une licence d’exploration en 2010.
Le projet d’extraction avait déclenché une crise politique en février, qui avait précipité la chute de la coalition gouvernementale et la tenue d’un scrutin anticipé. Le parti écologiste Inuit Ataqatigiit a fait campagne sur sa ferme opposition aux mines d’uranium et de terres rares, qu’il considère comme une menace pour l’environnement. De son côté, le Siumut a longtemps été favorable au projet, qui fournirait une rente importante et accroîtrait l’indépendance économique du Groenland, même s’il a récemment temporisé. Enseignant en géopolitique des pôles et secrétaire général de la chaire Outre-Mer de Sciences-Po Paris, Mikaa Mered analyse les résultats de l’élection parlementaire de mardi.
Quels sont les principaux enseignements de ce scrutin ?
C’est un message très clair de la population groenlandaise à la Chine et au monde : le développement économique, même s’il permettait au Groenland de devenir indépendant, ne justifie pas la destruction de l’environnement. Toutes les classes d’âges entre 18 et 60 ans ont voté majoritairement contre le développement ces projets de mines d’uranium et de terres rares, au contraire des plus de 60 ans, plutôt en faveur du sacrifice de l’environnement pour obtenir les moyens de financer un Groenland indépendant.
L’autre enseignement, c’est la défiance vis-à-vis du monde politique, avec une baisse de la participation de six points par rapport aux dernières élections et une augmentation des bulletins blancs et nuls. Les jeunes générations estiment que le personnel politique est corrompu et éloigné de leurs vraies préoccupations.
Le parti Inuit Ataqatigiit a obtenu 12 sièges sur 31. Avec qui peut-il s’allier pour gouverner ?
Son premier allié naturel est le parti Naleraq, une formation centriste, proche des préoccupations du secteur de la pêche qui représente 90% des exportations du pays. Son leader s’est positionné contre les mines d’uranium. Mais il ne dispose que de quatre sièges au Parlement. Alors, les deux forces vont devoir négocier avec un autre parti, peut-être les libéraux-conservateurs d’Atassut.
«C’est une réponse aux Etats-Unis et à la Chine : le Groenland est ouvert au business mais il ne bradera ni son indépendance, ni ses ressources.»
— Mikaa Mered, enseignant en géopolitique des pôles
Le Groenland est un territoire autonome du Danemark. De quels pouvoirs dispose le gouvernement ?
C’est un outre-mer danois avec une autonomie importante, proche de celle de la Nouvelle-Calédonie par rapport à la France. C’est-à-dire que le gouvernement local a la compétence exclusive sur tout, sauf la monnaie, la défense, la sécurité et les affaires étrangères qui restent entre les mains du Danemark. Le Groenland fait donc ce qu’il veut en matière de quotas de pêche, d’exploitation des mines, du pétrole ou du gaz.
En août 2019, l’ancien président Donald Trump avait affirmé qu’il souhaitait acheter le Groenland. Est-ce que le score élevé d’Inuit Ataqatigiit est aussi une réponse aux appétits américains ?
Oui, c’est une réponse à tout le monde. A la Chine, aux Etats-Unis et à l’Europe qui voient le Groenland comme un trésor de ressources. C’est un message pour les pêcheurs européens que le parti IA veut faire payer plus cher pour accéder aux eaux groenlandaises ou réduire leurs quotas. C’est une réponse aussi aux Etats-Unis et à la Chine : le Groenland est ouvert au business mais il ne bradera ni son indépendance, ni ses ressources.
La victoire d’IA traduit-elle une augmentation des préoccupations climatiques chez les Groenlandais ?
A 34 ans, le prochain Premier ministre, Múte Egede, incarne une nouvelle génération concernée par la préservation de son environnement local plus que la lutte planétaire pour le climat comme on l’entend habituellement. Le modèle de développement groenlandais repose intégralement sur l’exploitation des ressources naturelles, en premier lieu la pêche, puis l’extraction des ressources fossilisées (comme le pétrole) et le secteur des mines, certaines très polluantes (uranium, terres rares), d’autres un peu moins (zinc, cuivre, diamant, rubis, sable). Múte Egede a gagné en proposant de redéfinir l’équilibre entre économie et écologie, au profit de l’écologie. Il y a d’autres potentiels plus durables comme le développement d’un tourisme nature ou l’exportation d’hydrogène renouvelable.
Le parti Inuit Ataqatigiit a promis de signer l’accord de Paris sur le climat. Pourquoi le Groenland ne l’avait pas fait ?
Le gouvernement précédent ne voulait pas être bloqué alors qu’il s’apprêtait à offrir des licences pétrolières et à développer ces mines d’uranium et de terres rares très polluantes, pour financer l’indépendance de l’île. Les Groenlandais considèrent majoritairement qu’on ne doit pas leur faire la leçon sur le réchauffement climatique car ils en sont des victimes. Pour eux, l’accord de Paris devrait d’abord s’appliquer aux pollueurs de la planète plutôt qu’empêcher le développement du Groenland.
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