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Le billet de Thomas Legrand

En Argentine, l’élection de Javier Milei ou la victoire du bullshitisme

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Le succès de l’outrancier candidat libertarien illustre une méthode politique théorisée voilà quarante ans, et qui sape les conditions les plus élémentaires du débat démocratique.
Javier Milei dimanche à Córdoba, en Argentine. (Tomas Cuesta/Getty Images. AFP)
publié le 22 novembre 2023 à 8h30

La victoire de l’anarcho-capitaliste, libertarien radical, Javier Milei à l’élection présidentielle en Argentine, dimanche, serait-elle la dernière étape du bullshitisme ? Cette méthode politique a été théorisée par le philosophe américain Harry Frankfurt lors d’une conférence à l’université de Yale, en 1984 et fixée en 1986 dans son livre au titre moyennement académique de On Bullshit, que l’historien Johann Chapoutot traduit par De la connerie. Il semblerait, à écouter les discours du Lion de Buenos Aires, qu’un palier jusque-là insoupçonné ait été franchi pour atteindre un niveau de bullshitisme premium.

Harry Frankfurt avait constaté, il y a quarante ans, que pendant la période Reagan (président des Etats-Unis de 1981 à 1989), la question de la véracité du discours qui avait permis à l’acteur de Hollywood de ravir la Maison Blanche n’avait pas vraiment d’importance. Reagan pouvait dire tout et n’importe quoi, le contenu du discours avait finalement moins d’importance que la représentation proposée par l’acteur et l’image avantageuse de l’Amérique qu’il donnait à ses citoyens. Harry Frankfurt écrivait que le baratin séduisant avait plus d’efficacité politique que des arguments rationnels, basés sur des faits tenus pour véridiques.

Attention, il ne s’agit pas de découvrir la Lune, de constater que le mensonge est parfois plus efficace en politique que la vérité. Non, le bullshit est d’une tout autre nature, dit Frankfurt : «Un menteur tient compte de