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Référendum

Les Chiliens disent non à la nouvelle Constitution

Fruit d’un processus politique né de la révolte populaire de 2019, le projet de nouvelle Constitution, vouée à remplacer celle héritée de la dictature Pinochet, a été rejeté par 62% des Chiliens. Un vote qui marque un coup d’arrêt pour les aspirations à une société plus solidaire.
Des opposants au projet de nouvelle Constitution font la fête après avoir pris connaissance des premiers résultats du vote par référendum, à Santiago, dimanche. (Martin Bernetti/AFP)
publié le 5 septembre 2022 à 7h19

Ce dimanche, jour de plébiscite constitutionnel, possiblement historique, le Chili devait changer d’heure. Afin de ne pas perturber le scrutin, obligatoire, le gouvernement avait décidé de repousser la mesure d’une semaine. Aussi, d’innombrables citoyens se pressaient dès l’aurore dans les bureaux de vote histoire d’échapper aux chaleurs annoncées de l’après-midi. A Macul dans le sud-est de Santiago, des milliers d’électeurs patientaient devant l’Estadio Monumental, enceinte du club de foot Colo-Colo, dans la tiédeur matinale. «C’est tellement excitant de voter pour une nouvelle constitution qui représente les revendications que nous avons portées pendant l’estallido social de 2019. Notre génération a suscité un immense espoir de changement et nous devons le mener à terme», voulait encore croire Gabriela, 19 ans, étudiante en histoire dans la capitale, et qui votait pour la deuxième fois de sa vie, après la présidentielle l’année dernière. Au fil de la journée, la litanie des résultats des Chiliens de l’étranger abondait dans son sens : 70% en faveur de l’apruebo («approbation») pour 30 000 votants.

Le premier coup de semonce est venu de Punta Arenas, à la pointe australe du pays, la ville natale de Gabriel Boric, le président de la République en place depuis mars favorable au référendum. Avec le décalage horaire d’une heure avec le Nord, les dépouillements des premiers bureaux de vote donnaient le rechazo («rejet») en tête. Un signe avant-coureur qui allait préfigurer le reste de la soirée. Quatre-vingt-dix minutes après la clôture du scrutin, à 18 heures, l’issue ne faisait plus de doutes. Le «non» l’emportait largement avec près de vingt points d’avance (62 % à l’heure d’écrire ces lignes).

Incertitude du lendemain

Dès 20 heures, les partisans du rechazo, qui avaient abandonné la rue au camp d’en face durant la campagne, envahissaient les artères des métropoles de tout le pays à Concepción, Temuco ou à Puerto Montt pour célébrer leur indiscutable victoire. A Santiago, près de Providencia, dans l’est de la ville, Arturo, 51 ans, libraire, défile avec ses enfants qui portent des drapeaux chiliens au milieu d’un concert de klaxons. «C’est le Chili qu’on aime. Uni, avec ses différences et qui ne casse rien. Conscient qu’il faut changer la Constitution mais pas à n’importe quel prix.»

Deux jours plus tôt, Nicola, 34 ans, réalisateur de film, militant de l’apruebo, faisait part de ses doutes à Libération : «Si ce référendum était un vote sans obligation, le “oui” aurait plus de chances. L’apruebo a une cause, une capacité à mobiliser, une raison d’être. L’électeur du rechazo, lui, est motivé par la peur, par l’incertitude du lendemain et de la fin du mois, pas par l’émerveillement d’un nouveau cycle. En un sens, il est moins mobilisé, ce qui ne veut pas dire qu’il n’ira pas voter.»

Après les émeutes de 2019, le vote d’octobre 2020 en faveur d’un processus constituant (78% de oui) et l’élection de Boric à la tête du pays en décembre dernier, le camp du rechazo a repris des couleurs. «D’Arica à Magallanes [du Nord au Sud, ndlr], le peuple a parlé», fanfaronnait devant les micros Ximena Rincón, militante démocrate-chrétienne et ancienne présidente du Sénat. «Le rechazo s’est clairement imposé. Les Chiliens, sans aucun doute, souhaitent une nouvelle Constitution, mais ils en veulent une qui nous concerne tous

Inexpérience des ministres

Les sondages, interdits ces quinze derniers jours, indiquaient encore il y a deux semaines 15% d’indécis et une dizaine de points en faveur du «non». Les abstentionnistes du scrutin présidentiel de l’an dernier (53% au premier tour ; 44% au second) ont clairement choisi leur camp, même si sur tout le territoire l’apruebo fait 200 000 voix de plus que le score du chef de l’Etat, Gabriel Boric. «J’ai voté blanc, défend Carolina, 26 ans, coiffeuse croisée près d’un bureau de vote dans le centre de la capitale. Cette prétendue nouvelle Constitution ne changera rien à ma vie. Ce qui me préoccupe ? La fin du mois, comment je vais y arriver et assurer les besoins de ma fille…»

Sitôt les résultats connus, Gabriel Boric s’est adressé à ses compatriotes depuis la Moneda, siège de la présidence, et a servi un discours de circonstance. «Je m’engage à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour construire un nouveau processus constitutionnel. J’appelle toutes les forces politiques pour qu’elles fassent passer le Chili avant toute considération partisane et qu’elles se mettent d’accord le plus vite possible.» D’ici quelques jours, il remaniera son administration en conséquence. Ce lundi après-midi, il recevra les principales organisations du pays pour convenir de la marche à suivre, sauf l’estadillo social et la gauche radicale, qui ont été les initiateurs du processus constituant.

Déjà, les critiques pleuvent. Sur sa droite, où on considère que l’inexpérience de ses ministres finit par devenir problématique. «Certains membres du gouvernement sont issus du mouvement étudiant de 2011. Ils sont vite devenus députés avant de finir avec un portefeuille. Leur inexpérience finit par se voir au plus haut sommet de l’Etat», argumente Ernesto Ottone, docteur en sciences politiques de centre gauche et artisan du rechazo. Ancien leader étudiant, Gabriel Boric a été présenté ces dernières semaines par la presse économique américaine, et même par le Washington Post, comme un leader d’extrême gauche. Ce qui est pour le moins exagéré. «Ce score est une gifle retentissante et on doit faire notre autocritique, confiait une figure de la gauche radicale qui ne veut pas être nommée. On a travaillé d’arrache-pied pour ça ? On prend notre part de responsabilité mais Boric n’a pas respecté les engagements pour lesquels il a été élu. Il a fait un déni du réel, se soumettant aux médias tenus par la droite et il ne cesse de donner des gages aux puissants.» Pour le chef de l’Etat chilien, les ennuis ne font que commencer…