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Les influenceurs et trolls russes intensifient leurs efforts pour peser sur l’élection américaine

Élections américaines de 2024dossier
Les actions des autorités américaines pour contrer les campagnes d’influence étrangère n’ont pas découragé Moscou, selon les récentes analyses de chercheurs, notamment sur le réseau social X.
Donald Trump, à Bedminster (New Jersey), le 7 juillet 2021. ( Michael M. Santiago/Getty Images via AFP)
publié le 5 octobre 2024 à 9h37

Les tentatives russes d’influencer l’élection présidentielle de 2024 en faveur de Donald Trump, le candidat républicain, s’intensifient, selon des responsables fédéraux et des chercheurs. Cette offensive s’ajoute à une vague de désinformation sur l’immigration et la vice-présidente Kamala Harris, sa rivale démocrate. Cela malgré les efforts des autorités américaines pour contrer cette avalanche de fausses informations par des inculpations, des saisies et des avertissements publics.

Après la révélation, le mois dernier, de la rémunération de plusieurs influenceurs d’extrême droite par des figures des médias d’Etat russes, ces derniers ont continué à diffuser des mensonges à leur large audience, y compris des allégations démenties sur des Haïtiens à Springfield, dans l’Ohio, accusés de manger des animaux de compagnie.

Ces récits sont d’abord nés de rumeurs locales, amplifiées en ligne par des figures de la droite américaine, avant d’être reprises par Trump lui-même. Mais selon des chercheurs, des acteurs russes ont ajouté une couche supplémentaire d’affabulations destinées à effrayer davantage la population à propos de l’immigration et des questions raciales. Ces informations sont rendues publiques alors que deux ressortissants russes ont été inculpés début septembre pour avoir blanchi de l’argent dans le but d’influencer clandestinement l’opinion publique.

La saisie par le gouvernement américain de 32 noms de domaine hébergeant de fausses histoires, prétendument publiées par Fox News et le Washington Post, n’a pas non plus mis fin à cette autre opération russe, selon les chercheurs. Les comptes automatisés qui propageaient ces liens partagent toujours des copies d’articles trompeuses de médias bien établis. Certains de ces articles accusent le Secret Service de «connivence criminelle» dans la tentative d’assassinat de Donald Trump.

La semaine dernière, d’autres chercheurs ont découvert un nouveau réseau russe diffusant une série de «fake news» sur Kamala Harris, affirmant notamment qu’elle montrerait des signes de la maladie d’Alzheimer et que sa famille aurait des liens secrets avec «Big Pharma», ce qui la pousserait à promouvoir des médicaments bloqueurs de puberté [au cœur d’une véritable croisade des républicains contre les personnes trans, ndlr].

«La fuite réelle et médiatique de documents»

Clint Watts, responsable de la lutte de Microsoft contre la désinformation étatique, a déclaré que les trolls russes avaient migré vers de nouveaux sites pour héberger de fausses informations. Selon lui, ces tentatives d’influence pourraient être plus efficaces à présent, simplement parce que la course à la Maison Blanche s’intensifie. «Le public devient plus vulnérable à mesure que l’on se rapproche du jour de l’élection», a-t-il déclaré dans une interview.

Le pire reste probablement à venir, estime Thomas Rid, spécialiste de la désinformation et professeur à l’université Johns Hopkins. Il dit craindre non pas tant les fausses informations que «la fuite réelle et médiatique de documents sur la campagne de Harris, qui pourrait monopoliser l’attention médiatique».

Début septembre, les procureurs fédéraux ont pris des mesures contre le réseau de faux sites d’information et le financement russe d’influenceurs bien connus. Les commentateurs conservateurs impliqués n’ont pas été inculpés et affirment ne pas avoir compris que la société qui leur versait jusqu’à 100 000 dollars par semaine était liée au réseau de propagande russe RT.

Les efforts continus des trolls et des comptes automatisés renforcent l’avertissement lancé la semaine dernière par les services de renseignement américains : la Russie redouble d’efforts pour ramener Trump à la Maison Blanche. Selon ces mêmes responsables, la Russie espère que Trump réduira le soutien des Etats-Unis à l’Ukraine, sa priorité absolue.

De nouveaux liens sur les réseaux sociaux

Bien que les autorités américaines saisissent les hébergeurs de ces fausses informations, des comptes affiliés partagent désormais sur les réseaux sociaux de nouveaux liens vers des sites similaires, affirment les chercheurs.

Un tweet du 24 septembre, par exemple, renvoyant à une fausse histoire de Fox News sur les Haïtiens, avait recueilli plus de 900 retweets et aucun «like» deux jours plus tard, un schéma qui, selon les chercheurs en désinformation, suggère fortement une amplification automatisée par des bots plutôt que par des humains. L’article, intitulé «Faites attention aux enfants, aux chats et aux voitures : les Haïtiens extraterrestres veulent tout vous prendre», allait encore plus loin que les fausses affirmations diffusées par Trump, prétendant qu’un chat porté disparu avait été «vu plus tard dépecé comme une carcasse de veau dans un repaire de migrants». En réalité, le chat a été retrouvé sain et sauf dans le sous-sol de son propriétaire.

Un autre faux article, tweeté le même jour par un autre compte du réseau, décrivait l’échec des autorités à empêcher la deuxième tentative d’assassinat présumée de Trump comme une «véritable connivence criminelle» et affirmait que le suspect était «un fasciste partageant les opinions des nazis ukrainiens». Ce post avait plus de 800 retweets et aucun «like». Les comptes ont été identifiés par le groupe de recherche activiste Antibot4Navalny.

Fait rare, les autorités fédérales ont cité de nombreux documents internes russes dans leurs récentes actions contre les campagnes de désinformation orchestrées par Moscou, dont certains avaient déjà été mis en lumière par le Washington Post. Thomas Rid, qui a analysé ces documents, a écrit lundi sur le site de la revue Foreign Affairs que les architectes de plusieurs offensives sur les réseaux sociaux se plaignaient que Meta supprime leurs comptes, affirmant que X (ex-Twitter) était «la seule plateforme de masse encore utilisable» aux Etats-Unis. Un porte-parole d’X a déclaré que l’entreprise «restait vigilante face à toute tentative de manipulation de la plateforme par des acteurs malveillants et des réseaux», ajoutant que ses efforts pour les contrer avaient «conduit à la suspension de plus de 460 millions de comptes au cours des six premiers mois de 2024».

Financement de la part du gouvernement russe

D’autres documents ont montré que les sous-traitants russes derrière la campagne de fausses nouvelles connue sous le nom de Doppelganger utilisaient la couverture médiatique américaine et les actions des entreprises technologiques contre eux comme preuve de leur efficacité et demandaient plus de financement de la part du gouvernement russe, selon Thomas Rid.

De nouveaux réseaux de propagande continuent d’être découverts, comme celui identifié par l’entreprise de suivi de la désinformation Alethea. Il comprend 77 comptes X publiant du contenu original et plus de 400 autres amplifiant ces publications. Ce réseau a affirmé que Harris montre des signes d’Alzheimer ; que ses liens secrets avec «Big Pharma» lui donnent un intérêt financier à promouvoir des bloqueurs de puberté ; et qu’elle est marxiste parce que son grand-père enseignait la théorie marxiste, selon Alethea dans une recherche partagée avec le Washington Post.

Après une explication détaillée par le FBI, dans une déclaration sous serment de 277 pages, sur cette campagne d’influence, ces comptes ont commencé à affirmer que des experts avaient conclu que l’Ukraine en était responsable. Le 10 septembre, par exemple, l’utilisateur X «John Piell», sur le compte désormais suspendu @salman1212120, a publié une vidéo citant Eliot Higgins, fondateur de Bellingcat, qualifiant l’opération de «projet complexe et dangereux de l’Ukraine». «Moins d’une demi-heure après la publication de la vidéo, elle avait été retweetée au moins 76 fois en moins de soixante secondes par un réseau de comptes, tous avec des noms turcs, créés par lots entre le 2 et le 8 septembre 2024», a écrit Alethea.

Bellingcat ciblé

La Russie cible depuis longtemps Bellingcat et son fondateur Eliot Higgins, qui ont exposé des agents de renseignement impliqués dans des tentatives d’assassinat et des campagnes de désinformation. Mais elle cherche désormais à brouiller leur travail tout en s’attaquant à Kamala Harris. Higgins a publié mercredi qu’une fausse vidéo imitant Fox News affirmait qu’il avait découvert qu’un immigré avait agressé l’un des collaborateurs de Kamala Harris. Dans ce cas, le tweet a atteint plus de 16 000 vues en moins de cinq minutes, sans retweet ni like.

Le nombre de vues réelles, par des êtres humains, est difficile à déterminer, tout comme il est complexe de déterminer l’impact de ces publications sur les électeurs américains. Mais même lorsque les mensonges sont flagrants, leur prolifération peut rendre les vérités plus difficiles à croire, selon des experts en désinformation.

La Russie enregistre au moins quelques succès, comme une vidéo virale accusant faussement Kamala Harris d’un accident de voiture avec délit de fuite. Celle-ci a dépassé les 7 millions de vues.


Article original de Joseph Menn, publié le 3 octobre 2024 dans le «Washington Post»

Cet article publié dans le «Washington Post» a été sélectionné par «Libération». Il a été traduit avec l’aide d’outils d’intelligence artificielle, sous la supervision de nos journalistes, puis édité par la rédaction.