L’accueil par l’Espagne de l’opposant vénézuélien Edmundo González Urrutia, candidat officiellement battu lors de l’élection présidentielle contestée du 28 juillet, provoque une crise grave entre les deux pays. Arrivé à Madrid dimanche à bord d’un avion de l’armée espagnole, le diplomate de 75 ans a fui un mandat d’arrêt lancé contre lui pour «désobéissance» et «usurpation de fonctions», après avoir proclamé, procès-verbaux à l’appui, avoir remporté le scrutin avec 70 % des voix. Le régime chaviste, par la voix du Conseil électoral (CNE) qui lui est inféodé, a annoncé la réélection de Nicolás Maduro avec 52 % des suffrages, mais sans publier les fameux procès-verbaux, prétextant une abracadabrante opération de piraterie informatique menée depuis la Macédoine du Nord.
«Que cessent les vols»
L’exfiltration, menée avec discrétion, n’a été possible qu’avec l’accord tacite des autorités vénézuéliennes. Ce qui ne les empêche pas de poursuivre leur surenchère contre l’Espagne, un des nombreux pays du monde qui refusent de reconnaître le résultat officiel de l’élection. Mercredi, le président du Parlement vénézuélien, Jorge Rodríguez, qui était également le chef de campagne de Maduro, a appelé à rompre «toutes les relations» avec l’Espagne et à bannir ambassadeur et consuls espagnols du Venezuela. «Que cessent les vols vers et depuis le Venezuela sur des compagnies aériennes espagnoles […], que cessent toutes les activités commerciales des entreprises espagnoles», a tonné le dignitaire, habitué des diatribes bravaches.
Doy una cálida bienvenida a nuestro país a @EdmundoGU, a quien acogemos mostrando el compromiso humanitario y la solidaridad de España con los venezolanos.
— Pedro Sánchez (@sanchezcastejon) September 12, 2024
España sigue trabajando en favor de la democracia, el diálogo y los derechos fundamentales del pueblo hermano de Venezuela. pic.twitter.com/EoTRvYPJSq
Ce jeudi matin, le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez, tout juste rentré d’une tournée de six jours en Asie, a publié sur X une vidéo le montrant dans les jardins de sa résidence officielle, le palais de la Moncloa à Madrid, en compagnie de l’opposant vénézuélien et sa fille Carolina González. Mais il a précisé qu’il s’agissait d’une visite privée. «Je souhaite chaleureusement la bienvenue dans notre pays à Edmundo González Urrutia», écrit Sanchez, assurant que l’Espagne continuait «à œuvrer pour la démocratie, le dialogue et les droits fondamentaux du peuple frère du Venezuela».
Voler au secours du chavisme
«J’ai exprimé notre reconnaissance pour l’intérêt (que porte Sánchez) au rétablissement de la démocratie et au respect des droits de l’homme dans notre pays», a réagi de son côté González Urrutia dans un communiqué. «Je lui ai réaffirmé ma détermination à poursuivre la lutte pour faire valoir la volonté souveraine du peuple vénézuélien exprimée par plus de 8 millions d’électeurs», a-t-il ajouté.
Attaqué par le régime de Nicolás Maduro, Pedro Sánchez l’est aussi par la droite conservatrice espagnole. Pour Alberto Núñez Feijóo, chef de file du Partido Popular (PP), l’accueil de l’opposant est une façon de voler au secours du chavisme. «Maduro fait en sorte que le vainqueur de l’élection soit éliminé. Qui a gagné ? Nicolás Maduro. Qui a perdu ? La démocratie vénézuélienne», a commenté le patron du PP. Mercredi, l’opposition espagnole a fait adopter par le Parlement à Madrid une résolution demandant à Sánchez de reconnaître González Urrutia comme le président élu du Venezuela.
Un pas que le chef du gouvernement se refuse à franchir, afin de préserver «une marge de médiation jusqu’à la fin de l’année» pour trouver une issue dialoguée à la crise politique, en lien avec des partenaires tels que le Brésil ou la Colombie. Et pour privilégier une position commune des 27 Etats de l’Union européenne, qui réclament toujours la publication complète des procès-verbaux des bureaux de vote. Tout en sachant, comme le disait à Libération le ministre espagnol des Affaires étrangères espagnol, José Manuel Albares, que «ces documents, très probablement, n’apparaîtront jamais».
Washington renforce ses sanctions
La proposition adoptée par les députés espagnols à une courte majorité n’a toutefois qu’une valeur symbolique, la décision de reconnaître ou non González Urrutia comme président du Venezuela revenant au seul gouvernement. Contrairement aux Etats-Unis, les pays de l’Union européenne se sont jusqu’à présent gardés de reconnaître la victoire de l’opposant.
Reportage
Washington a renforcé ce jeudi son régime de sanctions contre 16 hauts responsables vénézuéliens, dont le juge et le procureur qui ont émis le mandat d’arrêt contre González Urrutia, et des fonctionnaires du Conseil national électoral accusés d’avoir «entravé la transparence du processus électoral et la publication de résultats électoraux exacts». Des militaires liés à la répression des manifestations qui ont suivi la proclamation de la victoire de Maduro (27 morts, 192 blessés et quelque 2 400 personnes arrêtées), sont aussi sur la liste noire, dont les conséquences sont notamment le blocage des avoirs bancaires éventuels aux Etats-Unis et des restrictions de visa.