Nouveau sursis pour le «président Téflon», Alvaro Uribe. Ainsi surnommé pour sa capacité à survivre aux affaires et aux scandales, l’ancien chef d’Etat conservateur, à la tête de la Colombie entre 2002 et 2010, a obtenu mardi 19 août la levée de l’assignation à résidence de douze ans dont il était frappé depuis deux semaines. Le 1er août, il avait été condamné pour subornation de témoin et fraude procédurale au terme d’un procès long de plus d’un an et massivement suivi à travers le pays. L’enquête, ouverte en 2018, porte sur les liens entre Uribe et des paramilitaires d’extrême droite, que le dirigeant de 73 ans est accusé d’avoir tenté d’acheter pour obtenir de faux témoignages contre un sénateur de gauche, Ivan Cepeda.
Accusations d’instrumentalisation
En livrant sa décision historique (pour la première fois, une peine de privation de liberté était prononcée contre un ancien président), la juge Sandra Heredia l’avait assortie d’une application immédiate, sans attendre le jugement en appel qui doit être rendu le 16 octobre. Manière d’empêcher le mis en cause de tenter de se «soustraire» à la justice en quittant son pays, avait-elle expliqué. Mais la Cour supérieure de Bogota a estimé mardi 19 août que les critères retenus pour justifier cette mesure étaient «vagues, indéterminés et imprécis». Elle a souligné aussi «le bon comportement du mis en cause durant la procédure et sa comparution volontaire» aux convocations judiciaires pour écarter l’hypothèse de la fuite de l’ancien sénateur.
«Dieu merci, merci à tant de compatriotes pour leurs expressions de solidarité. Chaque minute de ma liberté, je la consacrerai à la liberté de la Colombie», a réagi Alvaro Uribe sur le réseau social X. Ses partisans se sont empressés de voir dans la levée de l’assignation à résidence la preuve du bien-fondé de leurs attaques contre le président de gauche, Gustavo Petro, qu’ils accusent d’instrumentaliser la justice pour se débarrasser de ses opposants. «Le manque d’impartialité [de la juge] et l’absence de protections procédurales à laquelle Alvaro Uribe a été confronté ont été démontrés», a asséné Andrés Forero, membre du Centre démocratique, le parti fondé par Uribe. Pourtant, la décision de la Cour supérieure ne porte pas sur le fond de l’affaire : l’assignation à résidence n’est levée que le temps de l’examen de l’appel, elle sera rétablie si le septuagénaire est définitivement condamné.
«Situation d’ingérence»
Gustavo Petro, pour sa part, s’est ému de la remise en liberté de son adversaire, figure tutélaire de la droite colombienne : «Je ne comprends pas qu’il puisse être libre. […] Est-ce que c’est cela, la justice ?» Fin juillet, le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie avait déploré les pressions «énormes» exercées contre la justice dans cette affaire, et s’était agacé des prises de position publiques de certains responsables de l’administration Trump, à commencer par celle du secrétaire d’Etat états-unien Marco Rubio, qui avait dénoncé «l’utilisation du pouvoir judiciaire colombien comme une arme par des juges radicaux».
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Ce discours tenu par Washington fait écho aux mesures de représailles adoptées par les Etats-Unis contre le Brésil, frappé par des surtaxes douanières massives que Donald Trump a justifiées par le procès en cours contre son allié, l’ex-président Jair Bolsonaro, accusé de coup d’Etat. «En Colombie, on est dans une situation d’ingérence claire, même si elle n’est pas poussée aussi loin qu’au Brésil, explique depuis Bogota le politologue Frédéric Massé, spécialiste de la Colombie. Dans les deux cas, l’intention est la même : discréditer le gouvernement de gauche en l’accusant de persécutions politiques contre des opposants.» Pas anodin, à neuf mois de l’élection présidentielle - à laquelle ni Gustavo Petro ni Alvaro Uribe ne pourront cependant se présenter, en raison de la limitation des mandats imposée par la Constitution.