Plus de six mois sans aucun signe de vie. Aucune preuve de sa détention supposée au Venezuela. Et le voilà libre. Lucas Hunter, 37 ans, avait disparu des radars le 7 janvier 2025 alors qu’il avait été arrêté par des agents de la migration vénézuélienne à la frontière colombienne, sans avoir même voulu rentrer dans le pays. Ce touriste franco-américain était en vacances à la Guajira, la pointe nord-est de la Colombie, pour faire du kitesurf. Et il a été victime, au détour d’une balade à moto un peu trop proche du Venezuela, d’une sinistre diplomatie des otages orchestrée par Caracas depuis la réélection contestée de Nicolás Maduro, le 28 juillet 2024.
Il a donc été libéré, et serait en route pour le Texas où il va enfin retrouver sa famille, qui témoigne à Libération son soulagement. Il bénéficie d’un accord trouvé entre les Etats-Unis et le Venezuela pour libérer dix détenus américains retenus par Caracas et 80 prisonniers politiques vénézuéliens contre des dizaines de migrants. Ceux-là avaient été expulsés des Etats-Unis en mars vers le Salvador, où ils étaient détenus, souvent à tort, pour leur lien supposé avec un gang vénézuélien, le Tren de Aragua.
Une expulsion douteuse
C’est donc par l’intermédiaire du sulfureux président salvadorien, Nayib Bukele, que l’accord a pu voir le jour. Le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, l’a remercié «d’avoir aidé à obtenir un accord pour la libération de tous nos détenus américains». Et celui-ci s’est très vite félicité de son implication en publiant sur X une vidéo où il accueille à leur sortie de l’avion, lors d’une escale dans son pays, les dix anciens détenus américains, dont Lucas Hunter, tee-shirt siglé «Liberté» sur le dos et casquette sur le crâne avec un drapeau des Etats-Unis.
Au même moment, ou presque, à l’aéroport international de Maiquetía au Venezuela, des dizaines d’anciens migrants descendaient des deux avions qui les ont vus quitter le Salvador, les bras levés en signe de victoire, après quatre mois de détention au Cecot. Cette prison de haute sécurité est la vitrine de la lutte féroce engagée par le président salvadorien contre les gangs qui empoisonnaient autrefois son pays. Et dont il a réussi à se débarrasser au prix d’une politique ultra-répressive et souvent peu regardante des droits humains.
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C’est donc dans cette même prison qu’étaient retenus les 252 migrants vénézuéliens expulsés des Etats-Unis en mars, lorsque Donald Trump a déterré une vieille loi de 1798, l‘Alien Enemies Act, qui l’autorise, en temps de guerre, à détenir ou expulser des étrangers présents sur le sol américain. Outre les recours qui ont contesté l’utilisation de cette loi, la guerre contre les gangs a donc servi de prétexte pour renvoyer ces migrants dont beaucoup n’ont été jugés que sur la base d’un tatouage, et ne font souvent partie d’aucune organisation criminelle. Nayib Bukele assure avoir remis à Caracas «tous les citoyens vénézuéliens détenus dans notre pays, accusés d’appartenir à l’organisation criminelle Tren de Aragua». «Libres, enfin libres !» s’est réjoui son homologue vénézuélien Nicolás Maduro.
Diplomatie des otages
Si l’issue est heureuse, le procédé interroge. Washington et Caracas ont échangé des personnes détenues de part et d’autre pour de mauvaises raisons. D’un côté des migrants présentés comme des criminels et sacrifiés sur l’autel de la politique migratoire ultra-répressive de Donald Trump. De l’autre des citoyens américains accusés sans preuves d’être des mercenaires et arrêtés cyniquement par les forces de sécurité vénézuéliennes pour servir de monnaie d’échange.
Car depuis la disparition de Lucas Hunter, le 7 janvier, lorsqu’il est arrêté par des agents de la douane vénézuélienne au poste-frontière de Paraguachón, le Venezuela n’a jamais communiqué sur sa détention. Ne l’a jamais accusé d’un quelconque complot comme il a l’habitude de le faire. Et ne l’a pas jugé pour justifier son emprisonnement. Jusqu’à ce vendredi où Nicolás Maduro assure avoir échangé «des terroristes contre des innocents».
Le Franco-Américain, analyste financier qui travaillait à Londres, semble en fait avoir été victime d’une inédite diplomatie des otages, calquée sur le modèle iranien, qui témoigne d’une fuite en avant autoritaire du président vénézuélien depuis sa réélection contestée du 28 juillet 2024. Il y a bientôt un an, l’hériter d’Hugo Chávez a été déclaré vainqueur d’un scrutin sans en montrer la preuve, prétextant une cyberattaque, alors que son opposant principal, Edmundo González, revendique une large victoire avec près de 70 % des voix, procès-verbaux à l’appui.
Non reconnu par une grande partie de la communauté internationale, Etats-Unis en tête, le gouvernement vénézuélien a commencé à arrêter des étrangers présents sur son sol, dont plusieurs touristes américains interpellés à la frontière, afin de les utiliser pour négocier avec Washington une levée, au moins partielle, des sanctions qui pèsent contre le Venezuela depuis 2019. Non seulement les sanctions sont toujours en place, mais Donald Trump a même demandé à la major pétrolière, qui exploitait encore du pétrole vénézuélien, de cesser ses activités en mars dernier.
Depuis, les deux pays négocient, et multiplient les échanges : des prisonniers d’un côté contre des migrants expulsés de l’autre. Celui de ce vendredi reste le plus important depuis le retour à la Maison Blanche de Donald Trump. Il reste tout de même de nombreux étrangers dans les geôles vénézuéliennes. Selon les informations de Libération, au moins deux ressortissants français sont encore détenus à Rodeo 1, où sont placés la plupart de ces étrangers dans des conditions difficiles.