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Libération
Trafic de drogue

«Mayo» Zambada, le parrain mexicain arrêté après quarante ans de cavale

Il régnait sur le cartel de Sinaloa, accusé d’avoir inondé les Etats-Unis de fentanyl, un opioïde ravageur. Sa détention jeudi au Texas est le plus gros coup porté au narcotrafic depuis l’extradition de son ancien complice, Chapo Guzmán, en 2016.
Ismael Zambada Garcia alias «El Mayo» à Mexico en 2003. (Mexican Attorney General press office/AFP)
publié le 26 juillet 2024 à 13h35

A 76 ans, Ismael Zambada Garcia alias «El Mayo» n’avait jamais passé une nuit en prison malgré une vie entière consacrée au trafic de drogues à grande échelle. Son impunité a pris fin jeudi soir sur un aéroport privé d’El Paso, au Texas, ville frontalière avec le Mexique, avec son arrestation à bord d’un petit avion qui venait d’atterrir. C’est la prise la plus spectaculaire depuis l’extradition en 2016 de son ancien complice Joaquín Chapo Guzmán, les deux hommes étant les fondateurs du cartel de Sinaloa.

Et «El Mayo» (déformation de son deuxième prénom, Mario) n’était pas seul : il voyageait avec Joaquín Guzmán López, 38 ans, un des «Chapitos», les fils de Chapo qui ont repris ses affaires après sa condamnation à la prison à vie aux Etats-Unis, en 2019. Selon plusieurs médias américains, c’est Chapo junior qui aurait piégé le trafiquant afin de permettre le coup de filet. Les autorités américaines promettaient jusqu’à 15 millions de dollars (13,8 millions d’euros) en échange d’informations permettant de l’arrêter, mais il est peu probable que Chapito, lui-même recherché, puisse en bénéficier. Il n’y a pas de justice.

450 000 morts au Mexique depuis 2006

Le cartel de Sinaloa est accusé par Washington d’être le principal responsable du trafic du fentanyl, un opioïde à l’origine de la mort de dizaines de milliers d’Américains chaque année. Au Mexique, les violences liées aux cartels (surtout ceux de Sinaloa et Jalisco Nouvelle Génération) ont fait 450 000 morts et plus de 100 000 disparus depuis 2006, date à laquelle le président conservateur Felipe Calderón avait militarisé la lutte contre les trafiquants, une «guerre à la drogue» qui n’a fait que renforcer les groupes criminels.

Si Chapo et Mayo avaient mis sur pied, en bonne entente, le plus puissant cartel des Amériques, l’un était le contraire de l’autre. Chapo aimait le luxe, et profitait de tout ce que ses immenses bénéfices pouvaient lui offrir. Ses imprudences l’ont fait arrêter trois fois entre 2001 et 2015. La dernière, lorsqu’il négociait le tournage d’un film à sa gloire, avec Sean Penn et l’actrice Kate Del Castillo. Deux vedettes de Hollywood que les enquêteurs avaient suivies pour découvrir la cachette du parrain. De son côté, Mayo Zambada cultivait la discrétion. La seule photo connue de lui était parue en 2010 dans l’hebdo mexicain Proceso, à l’occasion de son unique interview.

Echapper aux polices de deux pays pendant quarante ans n’est pas le seul exploit de Zambada. Il a aussi survécu à des dizaines de projets d’assassinat de la part de ses rivaux. En février 2017, il échappait à un attentat ordonné par Damaso Lopez Nunez, surnommé «El Licenciado» (le diplômé), extradé peu après aux Etats-Unis où il a été condamné à la réclusion à perpétuité.

«El Mencho», nouvel ennemi numéro 1

Le frère d’El Mayo, Jesus «Rey» Zambada, et son fils, Vicente «Vicentillo» Zambada, ont témoigné au procès d’El Chapo alors qu’ils étaient détenus aux Etats-Unis. L’un des arguments de la défense du trafiquant était que le véritable chef du cartel était El Mayo, El Chapo n’étant qu’un comparse. La thèse n’avait pas convaincu le jury.

Dans son interview historique avec Proceso, El Mayo avait estimé que son arrestation ou sa mort ne changerait rien au trafic de drogue entre le Mexique et les Etats-Unis. Le temps lui a donné raison : le commerce de substances illégales n’a pas souffert des morts violentes ou des arrestations d’Amado Carrillo «le Seigneur des cieux», de Miguel Angel Félix Gallardo «le Chef des chefs» ou de Rafael Caro Quintero, en attente de procès aux Etats-Unis et qui, bizarrement, n’a pas de surnom.

Le nouvel homme le plus recherché du continent américain est désormais Nemesio Oseguera Cervantes, alias «El Mencho», le capo du cartel Jalisco Nouvelle Génération. Les rumeurs sur sa mort circulent régulièrement, mais n’ont jamais été confirmées. Sa tête est mise à prix à 10 millions de dollars par la DEA, la police antidrogue des Etats-Unis.