Coûte que coûte, la réforme est passée. Le Sénat mexicain a annoncé ce mercredi 11 septembre avoir approuvé la réforme constitutionnelle qui fait du pays le premier au monde à désigner tous ses juges par un vote populaire. Et ce malgré l’invasion du Parlement la veille par plusieurs centaines de manifestants opposés au projet voulu par le président de gauche sortant, Andrés Manuel Lopez Obrador, dit «Amlo» – la Constitution mexicaine n’autorise qu’un mandat de six ans, il quittera officiellement le pouvoir le 1er octobre.
«Sénateurs, arrêtez le dictateur», «le pouvoir judiciaire ne tombera pas» : tels ont été les slogans scandés par les dizaines de manifestants qui ont pu parvenir jusqu’à l’hémicycle, drapeaux mexicains à la main. Après avoir franchi les barrières de sécurité, ils ont obligé le président du Sénat, Gerardo Fernandez Noroña (majorité présidentielle), à ajourner la session. Ce dernier a peu après annoncé la délocalisation de la session dans l’ancien siège du Sénat, où les débats ont repris dans la soirée. «Il y aura une réforme du pouvoir judiciaire», a-t-il ajouté. C’est désormais chose faite. Le texte a été approuvé par 86 voix pour, soit les deux tiers des 127 sénateurs présents à la Chambre haute, dominée par le parti au pouvoir Morena et ses alliés, et 41 voix contre de la part des partis d’opposition.
Récit
Le chef d’Etat mexicain défend sa réforme en argumentant que la justice nationale est corrompue et ne sert que les intérêts économiques des élites. Selon les ONG, 90 % des crimes restent impunis dans le pays. Mais de leur côté, les opposants s’inquiètent. Et estiment qu’elle fragilisera l’indépendance des juges et les rendra vulnérables aux pressions du crime organisé. Depuis des semaines, les manifestations sont devenues quotidiennes.
Le texte avait déjà été adopté la semaine dernière par les députés dans un gymnase, sous des paniers de basketball, après le blocage de la Chambre basse par des manifestants. Les partis d’opposition, le PAN, le PRI et le Mouvement citoyen avaient déclaré qu’ils voteraient contre. «Nous l’avons déjà dit et nous le répétons : nous nous battrons jusqu’au bout pour empêcher cet outrage à la République et à la démocratie», avait écrit la sénatrice du Mouvement citoyen Alejandra Barrales. «La démolition du système judiciaire n’est pas la voie à suivre», avait averti la présidente de la Cour suprême Norma Piña, dans une vidéo diffusée dimanche sur les réseaux sociaux.
«Le pouvoir judiciaire est au service des puissants»
Andrés Manuel López Obrador, qui a souvent critiqué la haute cour pour avoir freiné plusieurs de ses réformes, avait mis en garde Norma Piña contre une éventuelle tentative de blocage, qui constituerait selon lui une «violation flagrante» de la Constitution. «Ce qui inquiète le plus ceux qui sont contre cette réforme, c’est qu’ils vont perdre leurs privilèges, car le pouvoir judiciaire est au service des puissants […] et de la criminalité en col blanc», a déclaré mardi le président sortant, dont la popularité avoisine les 70 %.
Reportage
Les Etats-Unis, principaux partenaires commerciaux du pays d’Amérique latine, voient dans la réforme un «risque» pour la démocratie mexicaine et «une menace» pour les relations commerciales bilatérales, alors que le Mexique a supplanté la Chine en tant que premier partenaire commercial de son voisin du Nord. Selon des experts, les inquiétudes des investisseurs autour de ce projet de loi ont contribué à une forte baisse du peso, qui a atteint la semaine dernière son niveau le plus bas en deux ans par rapport au dollar. Le gouvernement mexicain avait dénoncé une «ingérence» des Etats-Unis dans ses affaires internes et avait mis en «pause» fin août ses relations avec l’ambassadeur des Etats-Unis au Mexique, Ken Salazar, qui avait plusieurs fois critiqué publiquement la réforme.
Margaret Satterthwaite, rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats des Nations unies, avait fait part de son côté de ses «profondes inquiétudes». «En l’absence de garanties solides contre l’infiltration du crime organisé (dans le processus de sélection des juges), un système électoral peut devenir vulnérable à des forces aussi puissantes», a-t-elle dit lundi.