Menu
Libération
Analyse

Mexique : Trump veut désigner les cartels de drogue comme des «organisations terroristes», la population s’inquiète

La déclaration à Phoenix le 22 décembre du président élu fait craindre le pire à la population mexicaine, qui estime que le gouvernement américain est en grande partie responsable du niveau de violence dans le pays.
La présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, à Mexico, le 23 décembre 2024. (Luis Barron/NurPhoto. AFP)
par Bertille Bohard
publié le 28 décembre 2024 à 17h26

Ses propos n’ont pas rassuré les Mexicains, dont 72 % jugent que le gouvernement américain détient une part de responsabilité élevée, ou très élevée, quant au niveau de violence dans leur pays, selon un sondage paru le 20 décembre dans le quotidien espagnol El País. Lors du forum de l’organisation ultraconservatrice Turning Point organisé le 22 décembre à Phoenix, en Arizona, le président élu Donald Trump a promis d’expulser «tous les membres de gangs étrangers» et de déclarer les cartels comme «organisations terroristes étrangères» dès sa prise de fonctions, le 20 janvier. Remettant ainsi sur le devant de la scène le dossier des cartels, sans évolution notable depuis plusieurs décennies, bien qu’au cœur de la crise sanitaire du fentanyl aux Etats-Unis, drogue responsable de la mort de 50 000 à 60 000 Américains en 2024, selon les derniers chiffres de l’agence Reuters.

Ce changement de statut permettrait au futur locataire de la Maison Blanche d’employer des moyens semblables à ceux utilisés pour lutter contre le terrorisme. Une modification qui poserait un problème de souveraineté à l’Etat mexicain. «Le président Trump a fait savoir que si le Mexique ne faisait pas le ménage chez lui, il ne faudrait pas exclure une intervention militaire des Etats-Unis sur le sol mexicain», s’inquiète Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’observatoire Amérique latine de la Fondation Jean-Jaurès.

Interrogés dans le même sondage réalisé pour El País, les Mexicains sont formels : 58 % d’entre eux sont défavorables à une intervention américaine sur leur sol pour combattre le crime organisé. «Prétendre qu’on va lutter contre les cartels en déployant une action coercitive américaine sur le sol mexicain est un non-sens, explique Bertrand Monnet, professeur à l’Edhec et responsable de la chaire Management des risques criminels. Si les Etats-Unis interviennent, cela va faire exploser la violence.» En réponse aux déclarations de Donald Trump, la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum, a posé des limites dans un discours le 23 décembre. «La drogue est consommée aux Etats-Unis et les armes viennent de là-bas, mais nous collaborons et travaillons ensemble et nous ne nous soumettrons jamais», a-t-elle déclaré.

Des armes nommées El Jefe ou El Grito

La cheffe de l’Etat affirme que 70 % des armes qui circulent illégalement dans le pays viennent des Etats-Unis, et pour cause : il est difficile de se procurer une arme légalement au Mexique puisque le pays n’abrite que deux magasins d’armes, selon le quotidien américain USA Today. Pierre angulaire de la criminalité dans le pays, le trafic d’armes est un sujet de discorde majeur entre les deux Etats. A plusieurs reprises depuis 2021, le gouvernement mexicain a affronté l’industrie d’armement américaine devant les tribunaux, l’accusant d’user de stratégies marketing dans le but de vendre des armes aux cartels. Des modèles nommés El Jefe ou El Grito ont notamment été vendus avec des inscriptions telles que «mieux vaut mourir debout que vivre à genoux», expression traditionnellement attribuée aux révolutionnaires mexicains. Des procédures qui ont porté leurs fruits, puisque le 22 janvier 2024, la cour d’appel des Etats-Unis a rendu un arrêt en appel en faveur du gouvernement mexicain.

Si la régulation de la vente d’armes aux Etats-Unis apparaît comme une des solutions pour enrayer la violence de l’autre côté de la frontière, elle n’en reste pas moins impossible à faire voter par les institutions de la première puissance mondiale. «Il faudrait d’abord que le rapport aux armes à feu change aux Etats-Unis, mais la pression des fabricants d’armement est si forte que ceux qui ont essayé de légiférer ont fait marche arrière, explique Jean-Jacques Kourliandsky, de la Fondation Jean-Jaurès. De tous les présidents américains, seul Obama avait fait un premier pas vers une coresponsabilité entre les deux pays, avant d’être freiné par la pression des industries d’armements.»

Stratégie de chantage typique

Si les relations entre les dirigeants américains et mexicains n’ont pas toujours été cordiales, Claudia Sheinbaum est pour l’heure vue d’un bon œil par son nouvel homologue américain, qui prendra ses fonctions le 20 janvier. Une considération qui pourrait s’expliquer par sa prise en main directe du problème, elle qui compte bien reprendre le pouvoir sur son territoire grâce à un programme visant à solidifier les institutions. «Claudia Sheinbaum met enfin les moyens, c’est courageux, affirme Bertrand Monnet de l’Edhec. Elle travaille sur la reconquête des territoires que détiennent les narcos.»

En parallèle, Donald Trump menace toujours d’imposer des droits de douane importants sur les entreprises mexicaines si rien n’est mis en place par le gouvernement mexicain pour lutter contre l’exportation de drogue aux Etats-Unis. Une stratégie de chantage typique de l’ancien président, qui pourrait se révéler contre-productive. «L’augmentation des droits de douane va pousser les commerçants à se diriger vers les cartels et le marché noir», craint Bertrand Monnet. Risquant ainsi de perpétuer le cycle de violence.