La devise de la ville de Toronto, «La diversité est notre force», n’a jamais été aussi appropriée que ce lundi soir. Pour la première fois les habitants de la première ville du Canada ont élu maire une femme issue de la diversité. Olivia Chow, une sino-canadienne de 66 ans née à Hongkong et ayant émigré au Canada à l’âge de 13 ans avec sa famille est devenue leur édile. Elle a gagné sur un positionnement à gauche, soulignant qu’il s’agirait d’un «mandat de changement» par rapport à des décennies de politiques locales conservatrices. Dans cette ville historiquement à droite, l’élection d’Oliva Chow est une surprise.
Une première pour une femme issue de la diversité
Olivia Chow est un véritable animal politique. Depuis ses 28 ans, en 1985, elle a été élue successivement conseillère scolaire à Toronto, conseillère municipale, députée à la Chambre des communes, porte-parole officielle de l’opposition au niveau national – autrement appelé cabinet fantôme – puis candidate aux élections municipales de Toronto en 2014. Sans succès puisqu’elle termine troisième, obtenant tout de même 23 % des suffrages. Elle est par ailleurs, la veuve de Jack Layton, l’ancien chef du Nouveau Parti démocratique, le parti le plus à gauche du Canada.
Connue pour être résolument à gauche dans un Canada historiquement libéral et de centre droit, son statut de femme issue de la diversité en fait un profil particulièrement singulier dans le paysage politique canadien. Dans un pays où près de 18 % de la population a des origines asiatiques, soit un total de 6 millions de personnes, les politiciens issus de la diversité commencent à émerger de façon signifiante depuis quelques années. On pense notamment à Ken Sim qui lui aussi est devenu en 2022 le premier maire d’origine chinoise d’une grande ville, à Vancouver. La pluralité dans le monde politique progresse et les exemples ne manquent pas : Annamie Paul, candidate écologiste aux élections nationales en 2021 et première femme noire à être cheffe d’un parti à la Chambre des communes, ou encore Jagmeet Singh, d’origine indienne qui a défendu les couleurs du parti NPD en 2019 et 2021 aux élections fédérales.
Une maire à gauche dans une ville conservatrice
L’élection d’Olivia Chow revêt une importance particulière et devait symboliser l’apaisement, car elle intervient après les déboires successifs des deux anciens maires de droite, Rob Ford et John Tory. Le premier avait reconnu avoir fumé du crack quand le second avait dû démissionner, car il avait entretenu une relation sexuelle avec une employée de la mairie pendant plusieurs mois. Un boulevard pour Olivia Chow qui a fait campagne sur le thème du renouvellement. Partisane d’une gauche forte et qui assume certaines augmentations d’impôts, elle s’est notamment engagée à augmenter la taxe foncière et surtout de régler la crise du logement qui sévit particulièrement à Toronto depuis la pandémie. Pour ce faire, elle a annoncé que la ville construirait ou achèterait plus de 25 000 appartements et les mettrait en location avec des loyers encadrés. Elle a également proposé de taxer davantage les propriétaires les plus riches et de soutenir les locataires.
Profitant de l’éclatement de l’offre politique – un record de 102 candidats étaient en lice pour ces élections – Olivia Chow est passée du statut d’outsider à celui de maire en quelques mois. Sa ligne progressiste et sa volonté d’en finir avec des décennies de politiques d’austérité l’ont rendu incontournable, au contraire de sa kyrielle d’adversaires aux profils et alignements flous. L’élection est alors devenue un duel entre Olivia Chow et la centriste Ana Bailao, ancienne maire adjointe. Un scrutin qu’elles ont vampirisé, puisqu’elles ont obtenu 70 % des suffrages à elles deux, laissant des miettes aux cent autres postulants.
Comme première mesure phare, Chow a promis de ne pas utiliser les pouvoirs de «maire fort» octroyés à certaines grandes municipalités par le gouvernement de la province de l’Ontario. Ces prérogatives permettent aux maires d’adopter des budgets avec seulement un tiers du soutien des membres du conseil municipal, de mettre un veto à certains règlements ou encore de façonner unilatéralement l’administration de la ville.
Un contexte sino-canadien tendu
Dans un contexte de fortes tensions entre la Chine et le Canada, où des diplomates des deux pays ont notamment été renvoyés le mois dernier, l’élection et les premiers pas d’Olivia Chow vont être scrutés de près par Pékin et Ottawa. Les mésaventures de Ken Sim, élu maire de Vancouver il y a deux ans, et soupçonné d’avoir bénéficié de l’appui de la diaspora chinoise voire d’immixtion du gouvernement chinois – ce qu’il a toujours nié – constituent un précédent. Sans compter la droite dure canadienne, qui gagne en audience et ne va pas lâcher la nouvelle maire sino-canadienne. Mais pour Chow, cela ne semble pas être un sujet, elle qui évoque rarement son ascendance chinoise, préférant souligner plutôt ses origines populaires et son ascension sociale.