Lucía Zavala (1) n’avait jamais fait face au vide de l’océan. Le bruit des vagues ainsi que la sensation de l’écume du Pacifique sur son visage ; tout cela l’émeut malgré le froid et le crachin du large. La découverte de la mer, c’est la liberté pour cette Mexicaine de 25 ans qui s’est trop habituée aux refuges du nord et qui veut oublier la violence du sud où elle a grandi. Ironie encore : cette sensation de légèreté, elle la ressent face à d’imposants pylônes d’acier qui cisaillent la côte et se jettent dans le Pacifique pour délimiter le Mexique, son pays, et les Etats-Unis, son rêve.
Une quarantaine de tentes dans un bâtiment aux allures d’entrepôt, la ligne frontalière à 200 mètres de là : au refuge Juventud 2000, dans le centre de Tijuana, Lucía partage depuis trois mois une tente unique avec ses parents, sa fille Lupita et ses trois frangins. De son Etat du Michoacán natal, elle se souvient de son adolescence avec sa mère à vendre des tortillas, des après-midi brûlants avec sa sœur à cueillir des fraises qu’elle ne mangera pas. Lucía a la nostalgie de presque tout sauf de la pauvreté et de la violence. Après sa séquestration par la mafia locale pour l’exploiter elle et ses frères dans le trafic de drogue, la famille a dit stop. «Mon frère a été frappé, mes parents aussi. Après ma libération, on a tout plaqué en deux jours. On a pris nos sacs à dos, on est partis pour la capitale et on a pris un billet pour Tijuana.» Et maintenant, l’attente.