Un énorme soulagement après des semaines passées à imaginer le pire. Dimanche soir, un peu avant minuit heure française, les 60 millions d’électeurs de Lula ont pu souffler quand leur protégé a été annoncé vainqueur, avec 50,9 % des suffrages exprimés, de l’élection présidentielle brésilienne. Plus que le retour au pouvoir de l’ancien métallo, c’est avant tout pour eux la joie de voir partir un président qui a sans cesse menacé la démocratie et dont le mandat a été entaché de scandales en tout genre. Pour Libé, cinq Brésiliens reviennent sur les années passées avec Jair Bolsonaro au pouvoir et sur l’avenir qu’ils s’imaginent pour leur pays.
Maria Silvia, 58 ans, professeure de sciences de la vie et de la Terre à São Paulo
«Ces dernières semaines ont été pesantes et effrayantes. Je m’imaginais le pire, je pense que j’aurais quitté le Brésil si Lula n’avait pas gagné. Pour moi, quatre ans de plus de Bolsonaro, c’était impossible pour la démocratie fragile qu’est notre pays. Voir Lula revenir au pouvoir, c’est un véritable soulagement et un grand espoir. Je sais qu’il va récupérer un pays brisé, que ce sera dur, notamment avec un Congrès qui va être totalement contre lui, mais son retour signifie que nous allons rester une démocratie. Et qu’à la tête de cette démocratie, nous avons quelqu’un qui se préoccupe du peuple et des plus pauvres. Ça va demander du temps pour diminuer la haine, la quantité d’armes en circulation et le nombre de personnes folles qui pensent qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent. Mais au moins, aujourd’hui, le Brésil peut rêver de nouveau.»
Wendell, 41 ans, travaille dans le secteur administratif à São Carlos (Etat de São Paulo)
«Depuis quatre ans, j’ai vu au quotidien comment Jair Bolsonaro s’en est pris non seulement à la démocratie, mais à tous les piliers qui la soutiennent. Ce résultat est donc un soulagement. Et aussi une victoire symbolique : mon père a travaillé dans des usines et était syndiqué, comme Lula l’a été au début de sa carrière. J’ai espoir de voir les choses s’améliorer, quand bien même rien ne sera facile pour lui car il devra multiplier les alliances pour gouverner.
«Cela prendra du temps, bien plus qu’un seul mandat, tant la droite et l’extrême droite ont divisé le pays ces dernières années en multipliant les fausses nouvelles. J’espère aussi qu’une fois que Jair Bolsonaro aura quitté le pouvoir, il paiera. Qu’il sera arrêté et emprisonné pour les crimes qu’il a commis durant son mandat, notamment pendant le Covid. Seules les personnes qui vivent ici ont pu voir le chaos qu’il a mis en place.»
Lara Ramos, 27 ans, chercheuse en politiques publiques sur l’environnement et enseignante à São Luís (Etat du Maranhão)
«Cette élection, qui a été dure et éprouvante, a aussi été pour moi une fierté. Je suis fière d’être originaire du Nordeste et de travailler pour l’Etat du Maranhão, qui a contribué très fortement à l’élection de Lula. Notre région a été tant attaquée par Bolsonaro, qui a dit que nous ne savions pas voter, que nous étions un peuple d’analphabètes… Aujourd’hui, tout le monde nous remercie, car sans nous, Lula n’aurait probablement pas été élu [il a obtenu 71,1 % des voix dans le Maranhão, ndlr]. Avec le départ de Bolsonaro, je sais que ma région va être valorisée.
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«D’un point de vue plus personnel, pour moi qui suis bisexuelle, je vais désormais me sentir plus en sécurité. J’aurai moins peur de montrer des signes d’affection dans la rue, et j’aurai à nouveau la possibilité et l’espace de discuter politique et de participer à la construction d’un pays que j’aime.
«Le Brésil est aujourd’hui traumatisé, nombre d’institutions ont été détruites et doivent être reconstruites. Je pense notamment à celles défendant l’environnement et la biodiversité. J’ai espoir qu’avec cette victoire, mon pays puisse retrouver le droit chemin, celui de la démocratie et du respect des institutions. Que le gouvernement se mette de nouveau à respecter les pauvres, les communautés traditionnelles, l’opposition, et cherche à bâtir un Brésil sans violence où chacun mange à sa faim.»
Nice, 48 ans, concierge dans une école de la petite commune d’Iraquara (Etat de Bahia)
«Jusqu’à ce que la victoire de Lula soit officialisée, ça a été beaucoup de souffrances et d’angoisses pour nous. Jair Bolsonaro n’aime pas les habitants du Nordeste et il n’aime pas les noirs. Et tout le monde sait qu’ici, dans l’Etat de Bahia, nous sommes en majorité noirs. Aujourd’hui, je suis fière d’être nordestine. Nous avons réussi à dégager Bolsonaro du pouvoir, c’est la plus belle victoire dont je pouvais rêver. Sous son mandat, nous avons beaucoup souffert, notamment à cause des prix que nous avons vu augmenter en flèche. Alors quand on a appris que Lula a été élu, ça a été pour nous un énorme soulagement, comme si, d’un coup, toutes nos souffrances disparaissaient et que l’espoir revenait. Nous savons que Lula est de notre côté, que contrairement aux autres gouvernements, il sait qui nous sommes, nous respecte et va lutter pour nous.»
Luis, 49 ans, professeur de français à São Paulo
«Ce deuxième tour a été très stressant, je suis passé par tous les sentiments : peur, espoir, angoisse et inquiétude, puis évidemment un soulagement quand on a su que Lula était élu. Aujourd’hui, je me sens, comme beaucoup de Brésiliens, épuisé moralement. En tant que blanc de classe moyenne, je n’étais pas particulièrement affecté par les politiques de Jair Bolsonaro, en dehors de la montée des prix que j’ai comme tous subie. Mais je m’inquiète pour les plus pauvres, les noirs, les personnes des banlieues, qu’il attaquait sans cesse. Certains manquent de nourriture, beaucoup n’ont pas de travail, alors que sous Dilma Rousseff et Lula, nous avions résolu ces problèmes. Je ne veux pas aller bien dans un pays misérable, je veux que tout le monde puisse avoir un bon niveau de vie.
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«Pour autant, je suis encore très inquiet. Quand on voit, après quatre ans de ce gouvernement fasciste, que presque la moitié de la population vote encore pour ce mec, c’est une chose qui fait peur, qui m’attriste et m’angoisse. Certains grands groupes de médias, qui ont pendant des années encensé la parodie de justice qu’était l’enquête Lava Jato et traité Lula de voleur n’y sont pas pour rien. Il faudra du temps pour que les mentalités changent. Reste désormais à voir comment va se dérouler ce qu’on peut appeler le troisième tour : est-ce que Bolsonaro va contester ? Est-ce qu’il faut s’attendre à un scénario à la Trump ?»