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Présidentielle au Brésil : le chef de la police des transports soupçonné d’encourager l’abstention

Élection présidentielle brésilienne 2022dossier
Des contrôles de police inopinés sur les routes, notamment dans le Nordeste, fief de Lula, ont fait craindre à une tentative de bloquer certains électeurs. La commission électorale est intervenue, une enquête sera ouverte.
A Brasilia, dimanche. (Evaristo Sa /AFP)
par Chantal Rayes, correspondante à São Paulo
publié le 30 octobre 2022 à 20h38

«Laissez le Nordeste voter !» A deux heures de la fermeture des bureaux de vote au Brésil, le mot dièse s’était emparé de Twitter. «Un coup d’Etat est en cours, estimait sur le même réseau social le politologue Christian Lynch. Le but est d’empêcher le peuple pauvre d’aller voter, en utilisant à cette fin la Policia Rodoviaria Federal (PRF)», soit la police des routes, qui multipliait dimanche les contrôles sur les bus de transport des électeurs, en particulier dans le Nordeste déshérité. La région est le bastion de Lula, et c’est là que se décidera le scrutin présidentiel.

L’alerte avait été lancée sur Twitter par Charles Camarense, maire de Cuité, une commune de l’arrière-pays de Paraíba, un des neuf Etats du Nordeste. Posté devant les véhicules de la PRF, il a dénoncé dans une vidéo «un barrage pour empêcher le peuple de venir voter pour notre président Lula». Affirmant avoir reçu des témoignages similaires depuis «plusieurs endroits», et notamment le Pernambouc, autre Etat nordestin, il soupçonne «une opération orchestrée». Selon la Folha de São Paulo, le principal quotidien brésilien, qui a eu accès à un rapport interne de la PRF, 514 opérations de contrôle ont eu lieu rien que jusqu’à la mi-journée, soit 70 % de plus que lors du premier tour du 2 octobre… D’après la chaîne d’informations en continu GloboNews, la moitié de ces contrôles a eu lieu au Nordeste. A Rio de Janeiro également, des électeurs ont dénoncé les barrages de la police militaire (équivalent de la gendarmerie). Sur le pont qui relie la ville à la municipalité voisine de Niterói, où le patron du Parti des travailleurs (PT) était arrivé en tête au premier tour, deux camions de l’armée prêtaient main-forte à la PRF.

L’abstention, traditionnellement plus élevée au second tour, sera décisive pour l’issue du scrutin. Le phénomène touche surtout les électeurs les plus démunis, soit l’assise du leader de gauche. Afin de garantir le droit au vote, le Tribunal supérieur électoral (TSE), soit l’autorité qui supervise le scrutin, a imposé la gratuité du transport public sur tout le territoire pour cette journée électorale… A la demande du parti de Lula, qui craignait que la police des routes soit utilisée pour décourager le vote, le tribunal électoral avait également interdit, dès samedi, à la PRF d’effectuer des contrôles sur les véhicules de transport en commun (public et privé) sous peine de poursuites contre le directeur général de la police des routes, Silvenei Vasques.

Partisan déclaré du président sortant, Jair Bolsonaro, pour lequel il a appelé publiquement à voter, ce dernier a été convoqué en urgence ce dimanche par le président du TSE, Alexandre de Moraes. A l’issue de l’entretien, il a assuré que l’opération serait suspendue et que ces contrôles n’avaient d’autre but que de faire respecter le code de la route. Selon lui, aucun électeur n’a été empêché d’exercer son droit au vote en raison de ces contrôles dont la durée n’aurait pas excédé la vingtaine de minutes. Alexandre de Moraes semble s’être fié à cette version, mais une enquête sera ouverte pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir.