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Libération
«Bain de sang»

Présidentielle au Venezuela : une fin de campagne sous tension

Malgré l’avance de l’opposant Edmundo González dans les sondages à une semaine du scrutin, Nicolás Maduro se dit convaincu de gagner en recourant à une rhétorique de plus en plus guerrière.
Le président candidat Nicolas Maduro à Caracas, le 18 juillet 2024. (Juan Barreto/AFP)
publié le 21 juillet 2024 à 18h32

«La paix ou la guerre.» A une semaine de l’élection présidentielle vénézuélienne, Nicolás Maduro hausse le ton. Il faut dire qu’après vingt-cinq ans au pouvoir, le chavisme semble n’avoir jamais été aussi menacé par l’opposition. La plupart des sondages donnent le candidat Edmundo González Urrutia, un diplomate à la retraite presque inconnu du grand public il y a quatre mois, largement favori du scrutin avec près de 60% des suffrages et au moins 30 points d’avance sur le président sortant qui brigue un troisième mandat de six ans.

«Le 28 juillet se décide le futur du Venezuela pour les cinquante prochaines années, s’il devient un Venezuela de paix ou un Venezuela convulsé, violent et perclus de conflits», a lancé Maduro à ses partisans samedi 20 juillet lors d’un meeting à Maturín, dans l’est du pays. Depuis une semaine, le dirigeant vénézuélien verse dans une rhétorique de plus en plus menaçante, dessinant un pays qui tomberait inévitablement dans une «guerre civile fratricide», menacé d’un «bain de sang», si son peuple faisait l’erreur d’élire une opposition – dont l’union draine un spectre assez large pour aller des communistes à certaines personnalités que l’on pourrait qualifier d’extrême droite – qu’il accuse à tout bout de champ de n’être qu’un ramassis de «fascistes».

Popularité reportée sur Edmundo González

Le succès populaire de cette opposition sans véritable colonne vertébrale idéologique – si ce n’est une volonté féroce de changement – ne tient pas tant à la personnalité de son candidat qu’à celle qui fait véritablement campagne, depuis des mois, pour faire tomber le gouvernement : María Corina Machado. Cette ancienne députée, âgée de 56 ans et autrefois proches des «faucons» de l’administration Bush, s’est longtemps démarquée du reste de l’opposition par ses positions radicales, réclamant régulièrement la prison pour Maduro et sa clique. Mais cette conservatrice, très libérale économiquement, a mis en sourdine ses idées très droitières depuis plus d’un an et profité du vide laissé par l’ancien leader de l’opposition et président par intérim autoproclamé, Juan Guaidó, aujourd’hui exilé à Miami.

Grâce à son discours lissé, plus porté sur la nécessaire unité des antichavistes que sur un véritable programme pour le pays, María Corina Machado a écrasé ses adversaires lors des primaires de l’opposition à l’automne 2023 en récoltant plus de 90% des voix. Malgré un accord, passé à la Barbade avec le gouvernement à la même époque, et censé garantir la tenue d’élections «libres et équitables», elle a ensuite été déclarée inéligible par les autorités électorales. Quelques mois plus tôt, le Tribunal suprême de justice – réputé proche du pouvoir – avait exhumé de supposées fraudes administratives qu’elle aurait commises pendant son mandat de député, il y a une dizaine d’années.

En empêchant sa candidature, et quelques autres ensuite, le gouvernement espérait peut-être briser la dynamique naissante au sein de l’opposition, et replonger ses dirigeants dans un boycott électoral qui n’a eu d’autre effet, depuis 2018 et l’élection facile de Nicolás Maduro, que d’asseoir le pouvoir sans partage de ce dernier. Mais il a fait fausse route. Une partie de la communauté internationale a condamné la démarche, notamment des dirigeants de gauche, le Colombien Gustavo Petro et le Brésilien Lula. Et María Corina Machado n’est pas tombée dans le piège : elle a su reporter sa popularité sur Edmundo González, jugé trop peu connu pour être inquiétant. Depuis le printemps, elle sillonne le pays à pied ou en voiture – il lui est interdit de prendre l’avion – en assurant aux Vénézuéliens que voter pour lui, c’est la faire gagner elle, et surtout en finir avec le chavisme. Partout où elle passe, elle déchaîne les foules comme le faisait en son temps sa némésis, l’ancien président Hugo Chávez, arrivé au pouvoir en 1999.

Incertitude totale quant à l’issue du scrutin

De son côté, le camp présidentiel nie la dynamique électorale de l’opposition et affiche une insolente certitude quant à sa victoire future. Les principaux lieutenants du chef de l’Etat, notamment le président de l’Assemblée nationale, Jorge Rodríguez, et Diosdado Cabello, numéro 2 du parti au pouvoir, réfutent la validité des «sondages privés» – sous-entendus partiaux –, qui les donnent perdants, et leur opposent d’autres études qui promettent un rapport de force inversement proportionnel. Dans les faits, la répression qui sévit contre les équipes de Machado et González traduisent tout de même une certaine fébrilité : dans un entretien au journal espagnol El País ce dimanche 21 juillet, María Corina Machado comptabilise «24 personnes en prison, et 72 arrestations au cours des deux dernières semaines de campagne».

Reste une incertitude totale quant à l’issue du scrutin. Dans l’opposition, les plus optimistes se prennent à croire à la victoire tandis que les plus sceptiques redoutent une manipulation de dernière minute – qui irait de l’invalidation de la candidature d’Edmundo González à l’annulation pure et simple de l’élection au prétexte d’un impératif de sécurité nationale –, ou des fraudes le jour du scrutin. En coulisses, de nombreuses chancelleries s’activent pour éviter tout dérapage après la proclamation des résultats. Brasília et Bogotá ont proposé un pacte d’acceptation des résultats, censé permettre une transition pacifique en cas de victoire de l’opposition, et d’empêcher toute répression dans le cas inverse. Il n’a été signé par aucune des parties. Les Etats-Unis, eux, négocieraient en direct avec Nicolás Maduro selon les dires de l’intéressé, qui aimerait voir une levée des sanctions imposées depuis 2019 contre le pétrole vénézuélien.

Dans les rues de Caracas, on veut croire que c’est l’armée qui tranchera. C’est elle qui reste le ciment du pouvoir au Venezuela depuis que Chávez a propulsé des militaires à la tête des principales institutions et secteurs clés du pays. Son successeur assurait samedi 13 juillet que les forces armées restaient «anti-impérialistes», «anti-oligarchiques» et «profondément chavistes». María Corina Machado promet de son côté que «leurs yeux brillent face à l’imminence d’un changement profond et de retrouver leurs familles». Elle veut croire que les soldats, comme une bonne partie de la population vénézuélienne, ont des proches parmi les 7 millions de personnes qui ont fui depuis 2015 les pénuries, l’hyperinflation en partie résorbée, et la chute de l’économie. Ceux-là regarderont le scrutin de loin : seule une poignée d’entre eux, un peu moins de 70 000, ont été autorisés à voter dimanche prochain.